Pour conjurer l'esprit de catastrophe version 1
Principaux participants: Johanna Lawrenson, Dominique Grange, Myriam Batjosef, Martine Barrat, Jacques Gabriel, Jean-Jacques Lebel, Tetsumi Kudo, Erró, Philippe Hiquily, François Dufrêne, Dixie Nimmo, Mel Clay, ainsi que l'orchestre de Walter McLean comprenant Sonny Lewis (saxo ténor), Walter McLean (saxo alto), David Allen (guitare électrique), Michel Finney (basse) et Willy Holmes (batterie). Allan Zion a fourni une aide technique.
Ce happening a lieu dans le cadre de l'exposition collective organisée par Jean-Jacques Lebel à la galerie Raymond Cordier. Elle présentait des tableaux, des collages ou des sculptures de Gian-Franco Baruchello, Erró, Jacques Gabriel, Philippe Hiquily, Tetsumi Kudo, Jean-Jacques Lebel et Robert Malaval. Dans sa note liminaire figurant sur l'affiche/programme/catalogue, l'organisateur fustige «le chantage, la guerre des nerfs, du sexe, de l'œil et du ventre, la coercition du Père Noël nucléaire, la terreur tricolore, la misère morale et son exploitation culturelle, la misère physique et son exploitation politique, l'Art moderne à genoux devant Wall Street, la Commune de Paris oubliée au profit d'une école de crétinisation du même nom. Ça suffit comme ça. Il faut se livrer à un exorcisme collectif».
En 1994, il ajoutera le commentaire suivant: «J'ai pris la société de consommation et je l'ai retournée comme une poche avec toutes ses saloperies: le nucléaire, la guerre (1962, c'était la fin de la guerre d'Algérie), l'exploitation, la misère, le racisme, le yé-yé, la pub, le porno, les bagnoles, le sport, la sérieuse menace d'un conflit nucléaire généralisé au moment de la crise des missiles de Cuba.»
Dans l'obscurité, Philippe Hiquily frappe sur une de ses sculptures métalliques à coups de matraque pour marquer le début du happening. Jacques Gabriel propose aux participants son Lyricol, remède « contre l'antipathie, l'ulcère mondial, la fièvre des chancelleries», etc.
Erró, le visage caché derrière un « meka-mask», projette sur la peau nue du ventre et du dos de Johanna Lawrenson, masquée «à la Gustave Moreau», des images d'œuvres célèbres de l'histoire de l'art et des images érotiques. Jean-jacques Lebel, habillé en vieille dame, pousse péniblement un landau recouvert d'un drapeau tricolore et s'écrie: « Bébé, mon Bébé!».
Puis il se transforme en nazi à la gestuelle robotisée, agressive et sort de dessous le drapeau un masque du général de Gaulle, qu'il plaque sur le visage de plusieurs personnes dans l'assistance. Assis sur une échelle, Dixie Nimmo se tient immobile et serein.
Sur la surface d'un grand plastique transparent tendu sur un châssis, Jean-Jacques Lebel peint un tableau, puis le traverse brutalement: l'homme «sort de la peinture». Cet « accouchement-catastrophe» constitue le noyau du happening. Erró glisse entre les cuisses d'une femme des pinceaux et des tubes de couleurs, qui ressortent par les fesses d'une autre.
Tetsumi Kudo brandit à bout de bras une de ses sculptures le «phallus du monde» et déclame en japonais un discours sur «L'impotence de la philosophie».
Erró exécute un tableau avec, en guise de pinceau, un godemiché électrique qu'il «trempe» alternativement dans sa femme, Myriam Batjosef, et dans Martine Barrat. Après un dialogue en langues inventées et contradictoires entre Jacques Gabriel et François Dufrêne, ce dernier entonne son poème Meredith's Blues: «L'oiseau des phonèmes survole les crêtes et les gouffres du racisme ».
Il place ensuite sur son visage le masque du général de Gaulle et lance des «cris-rythmes».
Jean-Jacques Lebel, devenu «homme-télévision», profère un discours sur la révolution permanente et l'objection de conscience, traduit en «téléctrophonie» et en signaux yin/yang, c'est-à-dire en signaux corporels parodiant la gestuelle des marins envoyant d'un bateau à l'autre des messages à l'aide de deux petits drapeaux. Une inconnue - elle se nomme Désirée Schönhoven - se déshabille et monte dans le hamac. Mel Clay place son sexe dans la main de Johanna. Philippe Hiquily, le visage couvert d'un masque «Dogon-Sépik-Hiquily», Erró le « mécano-mane» et Dominique Grange (parodiant le style du Crazy Horse Saloon) se mettent à danser avec frénésie. Pour finir, Lebel et quelques autres participants ôtent leurs vêtements et réalisent une action painting. Lebel saute à travers la toile et sort de la galerie en criant: « Heil art! Heil sex!».
Pendant toute la manifestation, l'orchestre de jazz n'a cessé de jouer sur un tempo plutôt rapide. Quelques incidents ont eu lieu devant la porte de la galerie où environ une centaine de personnes ont protesté en grognant et en criant, pour n'avoir pas pu trouver place dans la salle archicomble. Il leur a été promis une autre séance, elle aussi gratuite, qui se déroulera effectivement trois mois plus tard aux studios de cinéma de Boulogne avec une version modifiée et augmentée de ce happening.