Kozmik Kundalini, again - 1988
Poème-objet, 85 x 65 cm.
Pièce réalisée à Paris et signée "J.J. Lebel '88" en haut à gauche.
Collage, crayons de couleurs, pastel, plume et tissu. L'oeuvre se construit autour de poèmes autographes et précise le contexte de production. "Après notre rupture de l'an dernier, à Rome, elle m'a rendu toutes mes lettres d'amour, billets doux, dessins et collages - ceux du moins qu'elle n'a pas déchiré (il y en avait des dizaines, détruits par et dans ses accès de censure) et dans le tas, je retrouve le premier poème-collage - envoyé le 26 mars 84, intitulé "Work in progress" c'est à dire : qui commence ou encore "Les Métamorphoses de A.N." décomposées en trois temps - avant (une rousse solitaire et nue près d'une cascade, triste), pendant (un couple d'amoureux enlacé sur un lit dormant sous une sorte de tableau-miroir) et après (un dessin polychrome et polysémique), "à suivre...". En effet, Ça a suivi ! Voici, quatre ans plus tard, après notre dernière (et définitive ? rupture) des extraits de cette première lettre d'amour inachevée, laissée en suspens :
Il était une fois une enfant tremblante // il était une fois une tragédienne // il était une fois une mère célibataire // il était une fois un metteur en scène // il était une fois un autre metteur en scène // il était une fois un bourreau // il était une fois une victime // il était une fois un "bourreau de soi-même" // il était une fois un clochard // il était une fois une Star du muet // il était une fois la même enfant tremblante // il était une fois une bourgeoise sadique // il était une fois 2.000 peintres // il était une fois un Panthéon // il était une fois une Médée // il était une fois une femme d'intérieur // il était une fois une courtisane féministe // il était une fois un escargot // il était une fois une baronne // il était une fois une "bohémienne endormie" // il était une fois un père célibataire // il était un dadaïste mystique // il était une fois un mangeur à bouche ouverte // il était un fois un amant fidèle // il était une fois une fougue histoire d'amour..." Fin de citation et, en même temps, fin de l'histoire".
C'est vrai, j'oubliais, la visite au cimetière de Bellano l'après-midi sur le lac Majeur et pèlerinage en jaguar se sont terminés à Ascona, dans un jardin privé aux parfums de fleurs multiples, en pleine nuit de pleine lune, par des cris étouffés et une dame presqu'immobile.
Suite du premier poème d'amour envoyée au dos d'une carte postale après notre visite du Jardin Botanique des Isole di Brissagis sur le lac Majeur, le jour où elle m'amena voir la grande maison familiale où une grande partie de son existence fut vécue - qu'elle dû vendre néanmoins, près du village où ses parents sont enterrés. Drôle de week-end amoureux, où elle déballa pour moi son passé mort et enterré, son vertige nostalgique, le terrible vide laissé en elle par la disparition quasi-totale, les uns après les autres - sauf sa soeur et sa fille - de tous ses proches. Epais brouillard sur le lac pour ce crépuscule des dieux familiaux joué pour moi seul en ce village au nom presque trop beau pour être vrai et qui lui va comme un gant: Bellano (jeu de mots qui fit mes délices presqu'autant que la chose-même. Rare trop rare moment de paix et de sérénité partagée sur ce lac d'enfance dont il ne reste que ceci :
"Il était une fois un iboris gibraltarica // il était une fois une ile civilisée // il était une fois un bagno romano // il était une fois un camellia Japonica // il était une fois une dormeuse éveillée // il était une fois des "Douanier Rousseau" suisses // il était une fois une botanique-métaphysique // il était une fois un bateau pas du tout ivre sur un lac // il était une fois une femme bleue-claire // il était une fois une femme d'ombre // il était une fois un après-midi d'amour // il était une fois un jardin secret nocturne // il était une fois un clitoris végétal // il était une fois un moment illimité // il était une fois une ipséité liquide // il était une fois une navigation amoureuse // il était une fois des montagnes enneigées // il était une fois un petit vent sur le lac // il était une fois des platanes sculptés par le temps // il était une fois une Jaguar blanche de roman à clef // il était une fois un pot de crème ancestral // il était une fois une douceur inouïe // il était une fois une tendresse partagée philosophique // il était une fois une trompe de brume // il était une fois une eau non polluée // Il était une fois Bell'anno... il pin bell'ano.
Elle vomit, elle est dans les vapes, elle a des vertiges, elle dort debout, elle se sent très faible mais ne veut pas se soigner. Que veut-elle ? Ceci: "C'est de ta faute. Je somatise tout "Victime et bourreau d'elle-même, elle triomphe et s'évanouit. Je lui demande qui est l'auteur de cette mauvaise comédie ou bien s'il s'agit d'une "improvisation" sur le thème de l'hystérie comme on lui a demandé d'en faire à l'Ecole du Piccolo Teatro ? Elle fulmine car son système hystérique fonctionne à vide. Je ne cède plus à ses menaces, je ne me laisse plus accabler par ses insultes ni bousculer par ses bouffées d'hostilité. C'est ÇA qui la perturbe.
Dans la pièce d'Agatha Christie où elle joue, elle interprète d'ailleurs un rôle de "Femme Fatale" hollywoodienne, avec talent et humour. Mais dans la vie, hélas ! elle continue à jouer le même personnage, sans talent et sans le moindre humour, ce qui le rend sordide, minable, ridicule. Le pouvoir de fascination se transforme en crises d'hystérie interminables, en caprices dérisoires d'une has-been ménopausée qui tourne à vide, style Gloria Swanson dans "Hollywood Boulevard". Elle rentre du théâtre vers 1h du matin. Nous avions décidé d'aller à Berlin ou Marcello, après de longues démarches, nous avait trouvé une chambre d'hôtel et deux places pour sa première à l'Opéra avec Pavarotti, j'achète les billets d'avion. Elle insiste, elle tient à faire ce voyage. Elle se fait du riz. Nous regardons des films sur Canal+ dans décodeur, ce qui les transforme en vidéo-clips délirants, son et image déformés. Film de montage avec Cicciolina, Marchais et Le Pen tournant, enfin ! en ridicule ces deux monstres paranos. Ensuite en porno classique avec de superbes gros plans. Cela semble la fasciner, la réveiller, la sortir de sa torpeur déprimante. Je la caresse. Elle me dit en gémissant: "Je suis malade"... Je rigole: " Bien sur la Prima Donna a ses vapeurs ! "Je me lève et vais me coucher. Je m'endors. Une heure plus tard - donc en pleine nuit - elle me réveille en m'embrassant. "Je me suis branlée en regardant la fin du film" me dit-elle. Elle me suce avec fureur, comme pour affirmer sa volonté, sa fureur, son pourvoir, sa force et comme pour forcer mon désir qui, certes, avait pris la fuite dès le début de la "guerre somatique" et des crises d'hystérie systématiques. Elle parvient à ses fins, bien sûr, et nous faisons l'amour avec une très grande tendresse et allégresse. Le lendemain matin, jour de notre départ pour Berlin, elle hurle dès le réveil. Sa machine castratrice se remet en marche toute seule automatiquement. Elle m'insulte parce que je fais le café vêtu de ma seule veste de pyjama (je dormais debout matin et avais oublié de remettre mon pantalon). "Maiale, porto, strongo etc..." Pendant 10 minutes. Ensuite, pour fuir cette horreur, je m'asseois à ma table et me mets à écrire (j'avais un texte à terminer d'urgence, avant de partir). Elle explose ! Elle explose ! " Salaud, porco, etc..." Je fais la sourde oreille. Elle continue: "Je ne vais pas à Berlin!" Après tous les efforts de Marcello et les miens pour lui faire plaisir et organiser ce voyage. Ce dernier caprice déclenche ma colère. Hélas ! Sans m'en rendre compte, j'avais mordu à l'hameçon, elle m'avait refilé son ignoble virus hystérique ! Je lui dis ; "Fais attention, espèce de monstre, un de ces jours, si tu continues comme ça, quelqu'un te tuera." Elle répond, triomphante avec un air de mépris théâtral: "Certainement pas toi ! Tu n'en serais pas capable !" Ô misérable efficacité de l'hystérie... Sa virtuosité maniaque porte ses fruits. Je me précipite sur elle - geste très regrettable d'autant plus qu'il était en quelque sorte provoqué, déclenché, commandé par elle - je lui donne une gifle et fait mine de l'étrangler. Scène de grand guignol d'un ridicule achevé. Heureusement, presque aussitôt, je reviens à moi et j'arrête cette scène grotesque. Cependant, vexé à mort d'avoir été ainsi manipulé, chosifié par sa puissante hystérie - ce médiocre scénario m'avait été imposé, je n'étais plus qu'une marionnette dont elle tirait triomphalement les ficelles (tantôt sexuelles, tantôt hostiles et violentes, elle venait d'ailleurs de me "prouver" qu'elle détenait ce pouvoir absolu en déclarant sur un ton méprisant "Je n'ai fait l'amour avec toi cette nuit que pour te montrer que le sexe n'a aucune importance." Concept clef de ma dictature hystérique: la castration. Plus de sexe, plus d'écriture, plus de peinture, plus rien. Plus personne, sauf Elle. Medée de merde. Outré d'être tombé dans ce panneau si stupide, je lui dis de faire ses valises. Ça suffit, BASTA ! Je lui reprends ses clefs. Ce tyran domestique m'a mis hors de moi. Ces quatre années de castration et d'hystérie ont fini par détruire mon désir. Expulsé de chez elle une dizaine de fois, empêché de travailler (aussi bien à Manciano qu'ici), lorsqu'elle me voit dessiner, elle me dit: "Tu n'as pas besoin de travailler maintenant, tu peux travailler plus tard. Il n'y a pas un policier derrière toi." Mais si, le flic c'est elle ! Cette comédie n'a que trop duré. Basta ! En écrivant et en dessinant ceci, je prends conscience de l'horreur de la situation. Ce dessin est le carnet de bord de la rupture, le journal de mon insurrection contre l'hystérie, mon cri de liberté.