Jean, Etienne Legros
- 1917 -
Jean Legros est né à Paris dans le 6e arrondissement.
Il est le fils de Etienne, Louis Legros et de Raymonde, Monalita Handirène, dite "Lita".
Selon toute vraisemblance, Jean fut sans doute l'enfant d'une permission, son père étant au front entre 1914 et 1918.
Avant la guerre, son père travaillait au Ministère des Finances, où il était entré comme garçon de courses à 14 ans (dixit la rumeur familiale).
Sa mère ne travaillait pas, mais faute de bénéficier du salaire de son mari, alors mobilisé, elle cherche du travail, ce dont elle se plaindra beaucoup, et confie la garde de son fils à sa belle-mère jusqu'à la naissance du second enfant, Lucien, qui naîtra en 1924. Les deux enfants ont donc 7 ans d'écart.
La grand-mère Legros habitait rue Besnard, dans le 14e arrondissement, une rue voisine du domicile des parents de Jean Legros, alors domiciliés au 13 rue des Plantes. Elle était femme de ménage et séparée ou divorcée (je ne sais) de son mari, Louis, égoutier de son métier.
- 1918 - Fin de la guerre. Retour du front du père de Jean. Curieusement, les parents ne reprennent pas leur fils Jean à la maison, 13 rue des Plantes. L'enfant reste et restera confié durant 7 ans à sa grand-mère paternelle. La gand-mère reprend son travail et l'enfant reste seul à la maison rue Besnard. "J'y ai appris la solitude", dira-t-il. Durant le temps où elle faisait des ménages, sa grand-mère lui installait une planche à repasser le linge reposant sur deux chaises. Elle y déversait des haricots secs avec lesquels l'enfant s'amusait à créer des jeux et des situations divers. "Je ne m'ennuyai jamais". Apparemment, il n'a pas de jouets mais en tout cas il leur préfère les haricots. Jean rend visite à ses parents qui habitaient à deux pas. Il n'y reste jamais coucher, mais rentre chez sa grand-mère le soir. Il a dû forcément être scolarisé à l'école maternelle, mais d'après ses dires, sa mère le faisait passer pour un "demeuré" et fournissait des certificats médicaux pour qu'il ne passe pas à la grande école à l'âge de 6 ans comme c'est habituel. Toujours d'après lui, il n'ira à la grande école, qu'à l'âge de 9 à 10 ans et sera, de ce fait, toujours en retard dans ses études. La brochure du Lycée Buffon dit qu'il est entré au Lycée Buffon en 1926 (à 9 ans donc au lieu de 6), sans doute dans les classes élémentaires.
- 1924 -
Naissance du second enfant Lucien, le 11 juin 1924.
Les parents décident de reprendre les deux enfants à la maison et de les élever ensemble.
Jean est convié à casser sa tirelire pour "payer le petit frère qui coute très cher". Il racontera que caché sous la table, sa mère dira en parlant de lui : "je ne m'habituerai jamais à cet enfant".
Jean est inconsolable d'avoir quitté le domicile de sa grand-mère, il dit avoir pleuré une année entière.
Contradictoirement, il aime beaucoup son petit frère Lucien et ils feront une paire d'amis.
Lucien est le fils préféré de sa mère.
En grandissant, Lucien s'insurgera contre son père allant jusqu'à le poursuivre dans tout l'appartement avec un couteau, l'obligeant à s'enfermer dans les WC.
Jean n'ose pas s'opposer directement au père. Sa mère tente d'en faire son complice contre le père.
Très jeune, Jean, le fils aîné est le confident (par sa mère) des problèmes sexuels des parents. Il doit, quand son père a quitté le domicile familial avec une maîtresse, aller récupérer son père au ministère des Finances pour l'apitoyer : "Papa, maman te fait dire de rentrer à la maison parce qu'on n'a plus de sous." Le père a honte et rentre à la maison.
Par la suite, Lita fournit des maîtresses à son mari pour mieux en récolter des piteuses confidences (...) et prend ouvertement, devant ses enfants, de l'argent dans le portefeuille de se son mari absent.
La famille a déménagé du 13 rue des Plantes au 26 rue des Plantes et habite un superbe atelier d'artiste dont le loyer est bien au-dessus des moyens d'un petit employé au ministère des Finances.
- 1932 -
Commencement des premières peintures de Jean Legros.
- 1937 - Jean est reçu au baccalauréat seconde partie, section philosophie. Il a 20 ans et n'est donc pas en avance.
- 1939 - Premier mariage le 23 mai 1939 dans le 14e arrondissement avec Natacha Soloveitchik, de nationalité russe, née à Odessa en 1918 dans une famille de russes blancs réfugiés en France après la révolution. Son père était le bras droit de Kérinski.
Elle est pianiste et obtient un premier prix de conservatoire. Elle est élève de Cortot et se destine à une carrière de pianiste de concert. Par contre coup, Jean laisse tomber ses études de piano. Il ne se sent plus à sa hauteur pour pratiquer cet instrument. Lucien persiste et semble plus doué.
A la déclaration de guerre en septembre 39, Natacha part aux Etats Unis avec ses parents. La famille était très au courant du sort fait aux juifs en Pologne et en Allemagne. Le couple n'aura vécu que peu de temps ensemble. Ils vivaient à l'hôtel car ils n'avaient pas les moyens de s'installer en appartement. Les parents ne les aidaient pas et Jean versait une partie de son salaire de pion à son grand-père paternel Louis.
Natacha se remaria durant la guerre aux USA où elle a 2 ou 3 enfants, nés Legros pour la loi française. Un mariage dissout par divorce aux torts de Natacha pour bigamie le 30 avril 1953.
Jean est mobilisé, il fera de plus le "peloton d'officier", suivant les consignes des jeunesses communistes du moment. Sur son livret militaire, brûlé dans l'incendie d'une caserne, les lettres PR, "Présumé Révolutionnaire". C'est son père qui obtient les renseignements afin de savoir pourquoi il est nommé sergent dans un régiment de tirailleurs sénégalais. Dans le régiment, il n'y avait que 2 hommes de race blanche : Jean + un autre jeune homme d'extrême droite nommé pour les mêmes raisons. Ils furent bien obligés de s'étendre.
Jean m'a souvent raconté que les noirs de son régiment enfilaient les oreilles des cadavres allemands à leur ceinture et que toutes les portes se fermaient lors de leur cantonnement dans un village. Impossible de se ravitailler, la population avait peur des Sénégalais (...).
Au moment de l'armistice en 40, c'est la débandade et son régiment se replie vers le sud de la France, il marchera sans arrêt pour atteindre la Méditerranée où il arrivera les pieds en sang mais ne sera pas fait prisonnier.
Démobilisé, il rentre à Paris pour continuer ses études. Natacha est partie aux USA. Il habite d'abord chez ses parents, entre très vite dès 1940 dans la Résistance (tracts au lycée Chaptal où il est pion). Son frère rejoint le FTP (Francs tireurs et Partisans).
Il rencontre à l'Institut de Psychologie Lucy Jones, de 15 ans plus âgée que lui, divorcée d'un riche industriel. Il habite chez elle à Neuilly jusqu'à son arrestation en 1942.
Très sportif, inscrit au Racing Club de Paris, s'entraine au stade de Charletty. 2ème du 100 m au Championnat de France, derrière Pierre Daix qui était son ami, et fut ensuite journaliste et critique d'art. Il restera un spectateur passionné des jeux olympiques et des matchs à la télévision.
Cette période est aussi riche en amitiés artistiques. Je ne sais pas trop comment cela a commencé. Etienne, son père, s'est occupé de déclaration d'impôts d'un ou deux artistes mineurs, voisins de quartier (n'oublions pas qu'ils habitaient un immeuble constitué uniquement d'ateliers d'artistes). Peu à peu, le bruit s'est répandu qu'il s'intéressait à la peinture. Cela a fait boule de neige et Etienne a fait la connaissance d'artistes plus importants, des peintres, des sculpteurs surtout, quelques poètes.
Despiau, le sculpteur, était je crois le parrain de Jean.
Etienne s'occupait de leurs problèmes fiscaux, des expositions à l'étranger en échange de quoi l'artiste lui offrait une oeuvre. Les murs en étaient couverts.
Jean reprochait à son père de ne jamais acheter de peinture. Il procédait sous forme d'échange. Etienne était très drôle de caractère, plein d'humour et sur ce plan son fils Jean lui ressemblait beaucoup (physiquement également) et les dîners étaient passionnants et animés. J'y ai moi-même assisté avant de connaître Jean en 1942-1944, lors de mon premier mariage.
Voici la liste des artistes fréquentés par la famille, ce que l'on nomme aujourd'hui "artistes de l'Ecole de Paris".
Peintres : Robert Louis Antral, Jules Chéret, Hermine David, François Desnoyer, André Derain, Jacques Despierre, Charles Dufresne, Germaine Eisenmann, Jean Even, Francis Jourdain, Emile Othon Friez, Rudolf Gowenius, Marcel Gromaire, Francis Grüber, Henri Hayden, Robert Humblot, Michel Kikoïne, Moïse Kisling, Jean-Emile Laboureur, André Lhote (?), Louis Latapie, Lombard, Henri Manguin, André Marchand, Albert Marquet, Jean Marzelle, Jeanne Modigliani, Raymond Moisset, Jules Pascin (Etienne en était l'exécuteur testamentaire), Adolphe Péterelle (père spirituel de Jean Legros), Valentine Prax, Jean Puy, Maurice Savin, Léopold Survage (voisin), Francis Tailleux, Tal-Coat, Charles Tcherniawsky, Maurice Utrillo, Maurice de Vlaminck, Gérard Vulliamy, Charles Walch, Henry de Waroquier.
Sculpteurs, Paul belmondo, Robert Couturier, Charles Despiau, Emile Gilioli, Jean Lambert-Rucki (voisin), Henri Laurens, Jacques Lipchitz, Charles Malfray, Manolo, Raymond Martin, François Pompon (à la fin de sa vie), Aristide Rousaud, Robert Wlérick, Ossip Zadkine.
C'est à cette même adresse que vit Jean Moulin. On y croise également Paul Eluard et les critiques Frank Jourdain, Léopold Lévy, Léon Degand, etc.
- 1942 -
3-4 juin : arrestation de Lucien.
17 juin : Lucien est condamné aux travaux forcés à perpétuité par un tribunal français.
7 août : le père de Jean, Etienne, est arrêté à 5 h du matin par les Allemands à son domicile 26 rue des Plantes. Jean est absent. Lita, affolée, donne l'adresse de Jean à Neuilly chez Lucy. Jean est arrêté à son tour et envoyé parmi 100 otages au Fort de Romainville. Lucy devra au commissaire de police de Neuilly sa liberté. Celui-ci la prévient qu'il a ordre de l'arrêter comme Anglaise, et elle peut s'enfuir en abandonnant tout.
Le père de Pierre Benoit, un des lycéens de Buffon arrêté lui aussi parvient à convaincre les Allemands de libérer 7 otages. On en fusillera 93 au matin, dont le frère de Maurice Thorez avec qui Jean passera la nuit.
Les 7 otages sont libérés au petit matin.
Jean passe en zone libre sur une péniche, caché sous du charbon jusqu'à Toulouse où Lucy réussit à le rejoindre.
5 octobre : Jean obtient son diplôme de conseiller d'orientation professionnelle.
15 octobre : Lucien livré avec ses camarades à la police allemande, est condamné à mort et transféré à Fresnes. Il sera enterré avec ses camarades, probablement au Mont Valérien, où son père l'identifiera à la Libération. Une urne contenant les restes de Lucien Legros sera placée dans la chapelle de la Sorbonne.
- 1943 -
Toulouse. Jean refuse de partir au STO et la vie clandestine devient obligatoire. Pas de papier d'identité, donc pas de carte d'alimentation et pas d'argent. Il obtient cependant un poste de contrôleur de la navigation sur les canaux.
8 février 1943 : Lucien Legros est fusillé. Jean apprend sa mort par télégramme. Ses premières paroles furent " Je ne pourrai plus jamais peindre".
Août 1943 : encore à Toulouse d'ou Jean adresse une lettre à son père. Mal nourri et sans chauffage, Jean est atteint d'une pleurésie purulente.
Lucy le ramène à Paris, en zone occupée, pour le faire soigner. Jean entre en analyse chez le Docteur Leuba (école freudienne suisse). Les relations avec ses parents sont alors très tendues. Jean habite à l'hôtel Crébillon, près de l'Odéon. Ponctions pleurales.
Convalescence dans une pension de famille à Clairefontaine. Lucy arrive à le convaincre de recommencer à dessiner. Elle obtient également son divorce et dispose de pas mal d'argent. Jean lui fait acheter des oeuvres d'art : un dessin à la sanguine de Renoir, des Despiau, etc. qui sont la collection de son fils Eric Montier. Ce fils possède également une douzaine d'oeuvres de Jean.
- 1944 -
A la différence de son père, Jean refuse la médaille militaire, la médaille de la Résistance et la Légion d'honneur.
Moi aussi, j'avais un papier pour mes activités dans la Résistance. Je n'ai pas eu droit à la médaille de la Résistance parce que trop jeune. J'ai jeté ce papier en rencontrant Jean. Il m'a peut-être servi pour une mention Bien aux deux Bacs.
Septembre ou octobre : Jean quitte Clairefontaine pour la maison de ses parents à La Ferté Choiseul, près de Chevreuse où il obtient que ses parents n'y fassent intrusion. Les rapports entre les parents et Lucy sont très tendus.
- 1945 - Eté 45 : Jean séjourne avec Lucy en Touraine. C'est la période des grands fusains. Jean rapporte de Touraine une cinquantaine de dessins au format raisin (50 x 65 cm), qu'il vend ou donne autour de lui. Il produit notamment une importante série de moutons, aujourd'hui disparue.
Fin 45 : Jean s'inscrit dans une école de bergers en Sologne. Il y tombe amoureux de Marie Lejoncourt.
- 1946 -
Jean revient à Paris en avril 1946, date à laquelle je fais sa connaissance ainsi que celle de Lucy. Je connais la famille Legros (Etienne + Lita) depuis 1942 par l'intermédiaire de mon premier mari, ami de la famille et voisin au 13 rue des Plantes. Je me suis fiancée dans la Résistance, à l'âge de 14 ans et donc mariée en 1945, à 18 ans.
Mon ex-mari et Jean étaient amis d'enfance.
Jean expose au Salon des Tuileries en très bonne place, à côté de Picasso, ceci grâce à son père qui connaissait toute la critique de l'époque. Jean n'aime pas ce piston et c'est tout juste s'il ne change pas son nom de peintre.
- 1947 -
Domicilié à La Ferté. Jean obtient un poste de professeur de dessin dans l'Education Nationale (écoles de Cachan et de Fresnes).
Jean expose pour la première fois au Salon de Mai.
Nous fréquentons beaucoup Jean et Lucy et mon mari et moi allons souvent à la Ferté.
- 1948 - Au printemps, Jean effectue un court séjour dans le midi à Saint Aigulf. Il reste très peu de temps mais en ramène des toiles.
Eté 1948 : Jean et moi décidons de vivre ensemble mais mon mari fait un chantage au suicide et je rentre au domicile conjugal pour 3 mois.
Noël 1948 : Je quitte définitivement mon premier mari et mes parents ne peuvent s'y opposer puisque je suis majeure le 6.01.49.
Jean dit de lui à cette époque : "Je serai un peintre à 40 ans".
C'est alors la période en peinture de la déformation de l'objet : "Je casse la gueule à l'objet"
- 1949 - Sans logement fixe. Nous habitons successivement une chambre de bonne Boulevard du Montparnasse, un somptueux atelier d'artiste prêté par la suédoise Maya Gowenius, un appartement en sous location meublée rue Tournefort.
Pour vivre, Jean prend un poste de professeur de dessin de la ville de Paris.
L'été 49 se passe en Touraine.
- 1950 - Toujours sans logement fixe. Jean fréquente à partir de 1950 l'atelier d'Art abstrait de Jean Dewasne. Jean Dewasne le trouve trop doué pour suivre ses cours et l'engage à travailler seul et à devenir professeur. Pour vivre, Jean est professeur de dessin de la ville de Paris, mais non titulaire, ce qui signifie une absence de salaire durant les vacances. Pour ma part je termine mes études à l'Ecole du Louvre et aux Arts Décoratifs. C'est Jean qui m'aide à écrire ma thèse sur un sujet imposé : l'Expressionnisme allemand".
fin 1950 : location d'un grenier et d'une pièce à Mondeville, près de la Ferté Alais, dans un village en pleine campagne.
Jean refuse tout lien avec sa famille et ne reverra plus ses parents.
- 1951 -
Nous vivions rue Daguerre dans une seule grande pièce. Jean aimait travailler en solitaire, d'où la recherche d'un autre atelier. Fin 51, il loue une baraque qui lui sert d'atelier à Cachan où il restera jusqu'en 1953.
Juillet 51 : nous passons un mois à Annecy pour préparer les Entretiens de Bichat tout en étant à la campagne. Cette activité durera jusqu'en 1965, date de mon entrée à la librairie Hachette.
Août à septembre 51 : toujours pas de salaire l'été. Jean garde les enfants d'un cardiologue dans une maison louée à Pierrefonds dans l'Oise. Je suis nommée pendant un mois comme conservateur du Musée de Reims. Comme mon inspecteur interdit la visite de Jean sous prétexte que je ne suis pas mariée, je démissionne des Musées de France tout en gardant le titre et la possibilité de postuler ailleurs.
Octobre 51 : Entretiens de Bichat. Je suis enceinte.
Exposition de groupe à la Galerie Saint Placide avec Moisset et Le Moal.
Exposition de groupe à la Galerie Bussy.
Ces expositions débouchent sur la vente probable d'une peinture intitulée La Table au musée municipal de la ville de Paris.
Jean fait aussi poser ma mère rue Daguerre mais il cherche à quitter la figuration. Période de grande anxiété. Il gratte et regratte sa toile, la retourne et recommence. 2 à 5 toiles dans l'année pas plus.
- 1952 - En février, naissance de notre fille.
Nous restons quasiment toujours à la campagne, surtout à Mondeville. Jean rentrait pour donner ses cours à Paris à la SNCF. Le jeudi, cours pour enfants ; le samedi, cours pour adultes.
Il organise également des cours de peinture dans l'atelier de la rue Daguerre. Ces cours sont fréquentés par des psychiatres, collègue d'une amie qui avait fait ses études de psycho avec Jean.
Cette même année, Jean refuse d'aller 1 mois à Moscou et préfère peindre, comme il refusera d'aller 1 mois à Athènes et 1 mois à Mexico, frais payés.
Participe au Salon de Mai.
- 1954 - Exposition à la Galerie La Gentihommière, Boulevard Raspail, du 5 au 27 mars 1954. C'est Simone Heller, femme du sculpteur Hajdu, qui s'occupait de cette galerie qui ne lui appartenait pas. Jean vend presque toutes les gouaches exposées. C'est la gloire, à notre grand étonnement.
- 1955 -
Janvier : court séjour d'un mois en Bourgogne.
Rue Daguerre, Jean fait une rechute de pleurésie et le médecin lui conseille de passer un mois à la montagne. Nous louons une chambre à Ayguatebia dans les Pyrénées orientales, près du village du violoncelliste Pablo Cazals.
Octobre 55 : nous nous installions à Chalo Saint Mars en attendant que l'appartement que nous achetons à Montrouge soit terminé.
- 1956 - Eté en Touraine à Cuzay d'où nous rapportons un grand morceau d'écorce de noyer que Jean pend au mur comme un totem. Elle y restera des années.
Avril : du 12 au 25 avril 1956, exposition Galerie Simone Heller, rue de Seine. Cette exposition et la suivante marcheront bien mais Jean tend déjà vers l'Art Abstrait et il est moins bien compris par le public.
Une gouache, intitulée Paysage, est acquise par le musée d'Art Moderne de la ville de Paris. En 1957, une autre gouache présentée pour achat sera refusée parce que pas assez figurative. Néanmoins, il reçoit une prime d'encouragement de 15000 F.
Juillet : voyage en Espagne ( 1 semaine au Prado) ; voyage au Pays-Bas, année Rembrandt (1 semaine).
Jean obtient de voir les Mondrian des réserves du musée de La Haye.
- 1957 -
Nous emménageons au 9 rue de la Vanne à Montrouge. Nous y habiterons jusqu'en 1975.
Novembre : du 29 novembre au 16 décembre, exposition Galerie Simone Heller, rue de Seine. Jean se brouille avec Simone Heller, au sujet de Dinou : il est l'amant de Simone Heller et, gros industriel, peut s'offrir des catalogues somptueux.
Il refuse de continuer à exposer chez Simone Heller et s'enferme dans son atelier pour approfondir sa recherche. Il n'en sortira que 12 ans plus tard pour l'exposition de Besançon. Cherche à exposer chez Jeanne Bucher, mais Jaeger ne veut pas se déranger. Jean non plus.
Octobre : entre en analyse.
- 1958 -
Curieusement, c'est à partir de 1958, date avant laquelle je m'occupais de menus travaux de traçage, passage des toiles à la caserne, lavage des pinceaux, que je perds le fil conducteur de sa production. Il avait mis des doubles rideaux opaques devant la double porte de l'atelier. Il s'enfermait à double tour quand il travaillait et ne répondait pas au téléphone qui était dans une autre pièce.
De 58 à 64, date de mon entrée chez Hachette, il montre peu sa production. J'ai juste le droit de partager dans l'atelier le lit conjugal. L'atelier était son jardin secret : toutes les toiles étaient retournées contre le mur.
Jean souhaite avoir des commandes de vitraux comme Manessier 10 ans plus tôt. Mais il est en retard d'une guerre. L'église dit la messe dans la rue. C'est la période des prêtres ouvriers. On ne construit plus d'église.
Finalement, Jean payera toute sa vie le fait d'avoir été arrêté durant la guerre et empêché de peindre en même temps que Singier et Manessier qui étaient tous deux de sa génération.
- 1960 - Achat de notre maison à Léouville en Beauce.
C'est de 1959-1960 que date la passion de Jean pour la Beauce, d'autant plus que le remembrement rural avait commencé. Il allait élargir les dimensions des champs et découvrir des hectares et des hectares de blé.
Jean part le matin à 5 h sur le motif. Nous allons à Léouville chaque fin de semaine. Jean y reste trois mois l'été mais souffre de solitude à partir de mon entrée chez Hachette.
- 1961 -
Début des carnets de Jean dont la rédaction s'étale sur 20 ans. Il commence la série des Murs préhistoriques en s'inspirant des murs de son atelier.
- 1962 -
Expose au Salon des Réalités Nouvelles.
- 1963 -
Expose au Salon des Réalités Nouvelles.
Jean refuse de passer un mois à Athènes pour se remettre à peindre au plus vite. Je l'ai mal digéré.
Octobre : Début de la période bleue. Dans ses carnets, Jean écrit : "Revu ma période bleue : leur dessin n'est pas assez anamorphique par rapport à la surface." Il confie également :" Ma période bleue aura été fondamentale... J'ai installé ma couleur dans le domaine de la couleur mentale..." Le bleu parce que BLEU = MÉDITATION. Dans ses carnets, Jean précise qu'il emploie d'abord 3 couleurs, le rouge, le blanc, le jaune avant de supprimer le jaune.
- 1964 -
Avril : arrêt de la période bleue.
Jean travaille désormais avec des pastels à la cire de marque Panda, rehaussés d'huile, sur papier Arches.
Expose au Salon des Réalités Nouvelles.
- 1965 -
Pour être reconnu artiste peintre, Jean n'a pas le droit d'avoir un second métier qui lui rapporte plus que la vente de sa peinture. Comme je viens d'être engagée chez Hachette, nous abandonnons les stands des Entretiens de Bichat, commencés en 1950. La fabrication de ces stands s'arrêtera avec nous.
Une nouvelle période artistique s'ouvre, ayant pour thème La Plaine. Elle dure jusqu'au début de l'année 1966.
- 1966 - Impressionné par Rothko, Jean s'intéresse aussi à Martin Barré. Depuis que je travaille comme salariée, Jean souffre de la solitude durant les mois d'été. Il invite le peintre Galière durant plusieurs années consécutives. Finalement, leurs rapports iront en se détériorant.
Jean passe un ou deux mois à mettre au point les extraits de ses carnets sous forme d'un livre "Peinture de bruit, peinture de silence". Jean l'envoie à plusieurs éditeurs, d'abord José Corti qu'il admire beaucoup, Gallimard, le Seuil. Refus avec toujours la mention : texte tapé sous forme de vers libres qui hachent le texte. Seul Gauthier semble s'y intéresser et parle de le publier. Malheureusement, les éditions Gauthier font faillite. Une fois de plus, moral à zéro.
- 1968 -
Nous faisons l'achat de tout un matériel de menuiserie : scie circulaire, rabot électrique, scie sauteuse, perceuse, etc.
S'amorce alors la période des Reliefs en bois blanc sur blanc.
Le format des reliefs en bois ne dépassera jamais 1,62 m x 0,92, surface maximale du plancher de la voiture (2cv). Les reliefs sont peints à l'huile en couleur dine Talens, 3 couches au pinceau et au rouleau. Séchage long. Plus de 100 pièces.
- 1969 -
Exposition au musée de Besançon.
- 1970 -
Jean fait la connaissance d'Imre Pan qui publie un volume de la collection Morphèmes consacré à Jean.
C'est aussi le retour à la couleur sous la forme de mini gouaches avec de la peinture écrasée au tube ou au biberon et celle des grands pochoirs. Ces derniers constituent une reprise des thèmes des reliefs mais en une seule couleur ou plusieurs.
Exposition Zero point, organisée par Imre Pan à la galerie La Roue à Paris.
Exposition en Suisse à la galerie Niggli. Mal emballés, les reliefs y arrivent très détériorés.
Exposition de groupe Création Expression au musée d'Abbeville.
Participe à la Kunstmarkt de Bâle.
- 1971 - Février : Imre Pan est malade et entre en clinique. Il mourra peu après. Mai : Exposition chez Robert Prouté, intitulée "en manière d'hommage à Bachelard", rue de Seine. juin : série des reliefs en Altuglas .
Novembre : du 23 novembre au 12 décembre, exposition intitulée Muraux, Galerie Messine.
Par l'intermédiaire d'Imre Pan, Jean est pris en main par la Galerie Artina.
- 1972 - Jean rêve d'une commande d'architecture 1% réservée aux artistes. Il n'y arrivera jamais. Il fait quelques essais en béton et pâte de verre. Une ou deux oeuvres seront exposées via le centre d'architecture ARPA (94), dans la chapelle et dans les jardins de la Salpétrière,avant d'être reprises par les constructeurs sans qu'il soit possible de savoir ce qu'elles sont devenues. Les reliefs en ciment + verre pilé sont réalisés par la maison Dugon.
A défaut de 1%, Jean réalise la mise en couleur des cages d'ascenseurs d'un immeuble au 40 rue des Pommiers à Pantin. Il prévoit pour l'entrée un motif à bandes parallèles. Mais les ouvriers ne savent pas l'exécuter, la couleur dégouline verticalement. Pour éviter les malfaçons, Jean modifie le projet en changeant les formes de ses couleurs.
- 1973 -
Début des études pour les toiles à bandes.
Elles ne seront cependant réalisées qu'en 1974.
Exposition Pochoirs couleur du 15 au 31 mars, galerie Visconti, rue de Seine à Paris. Jean paie de sa poche la location de la galerie.