L'existence de Marin Marie Paul Durand Couppel de Saint-Front, dit Marin Marie, touche au mythe.
Pendant maritime de l’aviateur Saint-Exupéry, Marin Marie a été tour à tour avocat, grand voyageur, navigateur, docteur ès sciences, économiste, écrivain, cinéaste, photographe et inventeur…
Mais il est surtout le plus grand peintre de marine du XXe siècle !
Pourquoi ? Et "pourquoi pas?" aurait dit avec lui le Commandant Charcot… Embarqué justement à bord du Pourquoi-Pas? lors de deux campagnes dans le Grand Nord, le peintre immortalise les aventures du trois-mâts commandé par Jean-Baptiste Charcot dans les glaces du Groenland. Au cours de ses aventures, il peint "d'après nature" et sait mieux que personne reproduire les mouvements de la houle, incarner la silhouette des grands voiliers ou révéler l'atmosphère si particulière d'une brume sur le mer.
Gourmand par "nature", Marin Marie est aussi l'homme aux mille amitiés, forgeant ainsi une légende aux accents rabelaisiens, telle qu'exposée dans le n°804 de la revue Aperçu :
"Marin naquit un jour de grand vent. Débarquant d'illusoires véhicules, des fées prirent deux ris dans leurs cottillons pour gagner la maison où déjà l'enfant réclamait à boire. Un nain vêtu d'écume, vint à bicyclette, la plia sur son dos et s'installa sous le berceau. Le maire s'excusa de ne boire qu'un verre à la fois.
Marin Marie vint au monde à deux jours. Il urinait en chantant et jouait aux jeux défendus, dormant bien et mangeant mieux.
On lui bailla de l'instruction, de la vraie, garantie et tout, et passa dans la machine à diplômes d'où il sortit l'estampille sur la fesse droite et des certificats sous le bras.
Cependant tout jeune, il fut envoyé en mission à Londres - Maison de l'Institut de France - pour étudier le malthusianisme au British Museum. Il passait son temps à peindre le port de Londres, mais il fut un jour surpris en bras de chemise devant son chevalet par l'inattendu Poincaré Raymond, encore vivant, mais déjà membre de l'Institut. Le triste gnome alla cafarder au directeur de la maison, qui débarqua sur l'heure le peintre malthusien. Engagé par un lord comme secrétaire français connaissant le golf et la conduite des voitures à pétrole, il fut un soir de ribote shangaïé sur un voilier partant pour l'Australie et reçue là tant de coups de pied au cul qu'il jura de ne jamais se croire plus malin qu'un autre.
La France l'accueillit à nouveau et l'hébergea encore dans son usine à diplôme d'où il sortit avec l'estampille de docteur en droit sur la fesse gauche. Secrétaire de Louis Marin, aucune parenté avec Marin Marie, il enfin happé par la marine radicale-socialiste et autopsia des Labels aux Cies de formation de Brest.
Alors, retour du Pôle Nord-Sud, survint Charcot, le grand Cancalais. Sailor Marie mit son sac sur le Pourquoi Pas et fit deux campagnes sur ce joli bateau-là. Le Gabier de poulaine et cinéaste, il buvait la chartreuse du carré sous prétexte de développer des photos dans le cabinet noir y attenant. Libéré, - encore un mot à censurer - il se maria et enfanta (Détail nautique et conjugal : un de ses descendants fut conçu en Mer d'Irlande). Jouant de la harpe et du pinceau, il allait dans la vie comme les gens à bonheur. Le service d'ordre pour ses expositions et ses récitals devenait plus important de jour en jour. L'or affluait.
"Dieu me baise ! dit-il un jour avec sa charmante liberté d'expressions, nous allons enfin naviguer." Il fit donc construire un bateau allant sur l'eau et s'en fut seul de Douarnenanez à New York pour y vendre des tableaux. Il avait battu le record de la traversée de l'Atlantique en solitaire, jusqu'ici détenu pour Slocum, mais cet authentique exploit passe pour ainsi dire inaperçu en France.
Il se repose actuellement dans villa de Levallois-Perret où il achève de dévorer le prix Virginie Herriot qui lui fut décerné dernièrement par l'Académie des Sports et des Beaux-Arts réunis."
Marin Marie est né le 10 décembre 1901 à Fougerolles-du-Plessis, une petite commune de la Mayenne. Son père, Jules Durand, après des études de droit devient pilotin pendant deux ans sur un pilote du Havre. Marin détaille la chronologie véritable des bateaux de (son) père, retrouvée sur la page de garde de l'Ecole de navigation de Cancale (Ecole de navigation, cours de Guyou) : "la Chaloupe Marie-Georgette, le sloop Henriette de Courseules, le sloop Miss Jane de Trouville, le sloop Harcouët de Cancale, le sloop Gwendoline de Jersey & Cancale (...) Signé : Jules Durand à la Houle". A cet ensemble, il conviendrait encore d'ajouter le Renée-Marie, du nom des deux soeurs de Jules, construit vraisemblablement en 1894. Et, bien sûr, le Holiday.
Marié à Marie Lefas, le père de Marin s'installe avec son épouse dans le domaine agricole de Clairfontaine. Au moment de sa naissance, Marin a déjà deux frères, Yves et Jacques, bientôt suivi de Jean, dernier né de la fratrie en 1905. Est-ce la naissance du denier enfant qui décida Jules et Marie à louer à Chausey la petite maison blanche dite "le Captain" qui deviendra le centre du clan des Durand ?
Très vite, les garçons sont envoyés dans une école anglaise à Bath. Le décès de Marie le 5 juin 1910 à seulement 34 ans annonce le retour des enfants en France. Ils sont désormais scolarisés au collège Saint-Charles à Saint-Brieuc et profitent de la liberté que leur offre la propriété de Clairfontaine et la maison de Chausey.
Il est parfois difficile d'échapper à son destin et il serait peut-être vain de chercher à savoir à quel moment Marin a vraiment pris conscience que sa vie serait irrémédiablement liée à l'Art. On peut en revanche affirmer avec certitude que son goût pour l'art lui vient de sa mère. Bonne dessinatrice et élève du maître Henri Harpignies, c'est en effet Marie qui initie Marin à la peinture. Du reste, au moment de se choisir un vrai nom d'artiste, Marin abandonnera son patronyme et sa signature "DF Marin" pour devenir "Marin Marie".
Les archives départementales de la Manche conservent d'ailleurs un ensemble de carnets de croquis de Marin Marie dans lesquels on sent sa détermination à reproduire la vie quotidienne "d'après nature" à Clairfontaine comme il se plaît à le noter lui-même en marge de ses dessins. Crayons, encre, vie quotidienne et scènes maritimes sont déjà là, montrant sa fascination pour la navigation qu'il pratique, initié par son père, à bord du Holiday.
Le plus ancien des carnets de Marin permet de dater avec précision la production de son "premier payage d'aquarelle" en date du 28 octobre 1914. Marin a alors 13 ans.
Le dessin fait définitivement partie de la vie du jeune Marin Marie qui, en marges d'études plus classiques, perfectionne peu à peu son trait auprès d'Emile Daubé, enseignant au Collège Saint-Charles de Saint Brieuc, établissement réputé pour préparer les élèves à entrer à l'Ecole Navale.
Dans un cahier de dessins à l'effigie du collège, Marin consigne l'ensemble de ses connaissances sur les navires de guerre, dimensions et vitesse, et établit des pertes comparées entre l'Angleterre et l'Allemagne. Le trait y est assuré et révèle de véritables qualités techniques.
Passionné par l'univers maritime, Marin n'opte pas pour autant pour une carrière dans la Royale.
Il entame, en droite ligne avec la filiation paternelle, des études de droit à Rennes où il obtient sa licence en 1921. Bien qu'il finisse par prêter serment et exercer la profession d'avocat, l'art est toujours là. Mais il attend encore son heure.
Son passeport obtenu, Marin quitte la France pour l'Angleterre en 1922 avant d'obtenir, à l'université de droit à Rennes, sa première partie de doctorat économique le 1er juillet 1924 avec mention très bien.
En marge de son activité professionnelle et de ses études, Marin prend des cours dans l'atelier de Paul-Albert Laurens, alors professeur de dessin à l'Ecole Polytechnique et enseignant à l'Académie Julian. Connu pour son amitié avec André Gide, Paul-Albert Laurens a aussi été en charge, avec d'autres artistes comme Devambez, de la section camouflage des armées pendant la Première Guerre mondiale.
Est-ce par l'intermédiaire de Laurens que Marin obtient une exposition en novembre 1923 à la galerie Devambez ? On peut raisonnablement le penser.
1925 est une année décisive pour la carrière de Marin Marie. Nous voici à l'heure du service militaire. Marin est incorporé à Brest le 10 mai 1925. Il obtient de passer celui-ci à bord du Pourquoi-Pas?, le navire du Commandant Charcot dédié à la recherche et aux expéditions polaires depuis 1908, année de son lancement dans le port de Saint-Malo.
Recommandé par son oncle, le député de Fougères Alexandre Lefas, Marin participe à deux missions.
La première expédition a lieu en 1925. Départ le 11 juillet avec pour objectif de secourir Amundsen, perdu avec ses deux hydravions sur la banquise. Le Pourquoi-pas? s'engage ensuite en direction du Scoresby Sound pour retrouver une expédition danoise dont on est sans nouvelles. Les six survivants retrouvés, le Pourquoi-Pas? rejoint ensuite le navire danois Gustav Holm, piloté par le célèbre explorateur Ejnar Mikkelsen, connu pour avoir été porté disparu pendant trois ans après être parti à la recherche de Ludvig Mylius-Erichsen.
De retour en France, Marin Marie reste à quai pour surveiller le Pourquoi-Pas?. Il emploie son temps à classer la bibliothèque du Pourquoi-Pas ?. Sa proximité avec Jean-Baptiste Charcot lui offre l'opportunité de s'engager pour un nouveau périple en direction de l'Arctique. La relecture du carnet de croquis de Marin nous offre quelques indices sur les intentions et les motivations de Marin. Entre deux dessins du Port de Cherbourg se dissimule une sorte d'inventaire à la Prévert évoquant du "papier rouge et noir", "1 verre dépoli viseur de réglage", un "appareil Pathé", des "objectifs", un "diaphragme" ou encore un "phonographe" ; mais aussi "Harrison revues" le "Petit Parisien" et l'"Illustration".
Il en revient cette fois avec du matériel photographique et une vidéo. Sujets d'études "d'après nature", ces expéditions servent de base et d'inspiration au déploiement de son oeuvre et à la reproduction réaliste des mouvements de la mer et des vagues.
Avec ses voyages sur le Pourquoi Pas?, Marin Marie entre de plain pied dans la légende. Ce qui est d'abord une aventure humaine aux côtés de Robert Rochard, François Carpier, Batany, Boulanger, Jaffré, Le Goff, Moussard et quelques autres nourrit son imaginaire tout autant qu'il alimente sa connaissance terrain d'espaces encore peu connus du grand public.
Marin doit donc énormément au Pourquoi-Pas et au Commandant Charcot avec lequel il entretient une vive amitié. Ce dernier écrit le 4 décembre 1927 à l'oncle de Marin :
"Mon cher député ex collègue et toujours ami. Merci de votre mot. Ne regrettez pas votre absence à ma conférence, mais laissez moi regretter que vous n'ayez pas vu le film tiré par votre neveu qui fut un de mes plus précieux collaborateurs et reste un charmant ami."
Dans un courrier adressé le même jour à Marin, le ton se fait beaucoup plus libre et malicieux :
"Mon cher ami. La prochaine fois que vous m'écrirez sans mettre "cher" (...) Commandant je vous f.....ai mon pied dans le c....l. Ceci dit, j'arrive à Rennes où j'ai conférencié (...)."
Très affecté par le naufrage du Pourquoi-Pas et la disparition de son équipage en 1936, Marin participe à l'édition d'une plaquette dont la vente doit permettre de trouver des subsides pour aider les 30 familles endeuillées par la mort des marins. Montée en triptyque, l'édition est ornée de deux dessins de Marin Marie : le Français au Pôle Sud et le Pourquoi-Pas?.
Texte à venir
Le livret militaire de Marin Marie nous fournit de précieuses informations sur sa carrière au sein des Armées. Devenu officier de réserve de 3e classe le 19 mai 1932 et de 2e classe en 1936, Marin Marie effectue régulièrement des périodes au sein des armées, notamment à Bord du cuirassé Jean-Bart jusqu'en 1932, puis reçoit un orde de mobilisation individuel en décembre 1937 qui l'affecte à bord du Strasbourg.
1939 sonne l'heure de la guerre. Marin est alors affecté à bord du Strasbourg comme Officier interprète et du chiffre.
En homme de son temps, Marin Marie assiste et participe aux grands progrès qui accompagnent son époque. Un monde s'achève : celui des grands voiliers qui circulent sur toutes les mers du monde. Il laisse la place aux grands cargos et aux immenses paquebots qui le fascinent et l'amènent à dessiner de nouvelles cheminées pour le France parce qu'ils trouvent les premières inesthétiques.
C'est pourtant bien avant qu'il faut chercher les traces de son intérêt pour l'innovation. Dès février 1924 en effet, Marin dépose un brevet pour un nouveau moyen de transport, mi-voiture et mi-bateau.
Homme de son temps, Marin Marie suit et participe aux grandes innovations qui vont durablement transformer la navigation.
Confirmant ses talents d'inventeur Marin va s'investir dans la réalisation d'un système de mise à l'eau des canots de sauvetage qu'il fera breveter au début des années soixante.