120 minutes dédiées au Divin Marquis - 1966
Principaux participants: Jean-Claude Bailly, Barbara Benamou, Bob Benamou, Billy Copley, Cynthia, Guillemain Géraud, Shirley Goldfarb, Frédéric Pardo, Jean-Jacques Lebel, Jocelyn de Noblet, Nicole, Gérard Rutten, Philippe Hiquily, Denise de Casabianca.
Ce happening a eu lieu dans le cadre du 3e Festival de la libre expression, du 4 avril au 3 mai 1966. Une deuxième version a eu lieu le 27 avril.
Jean-jacques Lebel a ouvert le happening à des personnes extérieures au milieu de l'art en faisant paraître dans la presse des petites annonces invitant ceux qui le désiraient à participer à des réunions où chacun pouvait s'exprimer. Jean-Jacques Lebel rassemblait ensuite les différentes propositions. L'artiste se souvient de ces séances de préparation « où l'imaginaire de chacun et de chacune se donnait libre cours et où l'on se débrouillait pour que tout le monde fasse ce qu'il ou elle avait envie de faire dans une séquentialité polysémique». C'est ainsi, par exemple, que grâce à Frédéric Pardo, le transsexuel Cynthia avait entendu parler du happening et avait manifesté son désir d'y participer afin de montrer sa «vraie identité» (sic) - c'est-à-dire son sexe d'homme qu'il était contraint de dissimuler à La Nouvelle Eve, le cabaret de strip-tease où il travaillait à Pigalle.
Environ quatre cents personnes ont participé au happening, dont Jean Duvignaud, Kostas Axelos, Lucien Goldmann, Edgar Morin, Ornette Coleman, Daniel Spoerri, Ben, Daniel Pommereulle, etc.
120 minutes dédiées au Divin Marquis a surgi dans un contexte social et politique pré-cis, celui de la censure gouvernementale touchant aussi bien le domaine des mœurs que celui de l'édition et des arts. Il y eut d'abord les procès à répétition intentés plus de onze fois à Jean-Jacques Pauvert, l'éditeur des œuvres complètes de Sade, auteur dont le Premier ministre, Georges Pompidou, osa déclarer au Figaro littéraire qu'il le trouvait «ennuyeux» (sic). À ce jugement péremptoire et aberrant s'ajoutait l'interdiction frappant le film de Jacques Rivette, La Religieuse, d'après le roman de Diderot. Jean-Jacques Lebel vécut cette interdiction de très près, grâce à sa compagne de l'époque, Denise de Casablanca, monteuse de certains des films de la Nouvelle Vague et notamment de celui-ci. « Ce happening, selon Jean-Jacques Lebel, prenait Sade comme prétexte philosophique pour affronter sur le terrain social la bêtise, le capitalisme, le pouvoir.
N'oubliez pas que la guerre d'Algérie s'était terminée quatre ans avant mais que nous étions toujours en position de conflit radical avec le pouvoir politique. Sade était le drapeau noir que nous brandissions comme emblème de la pensée subversive et de cette liberté qui nous étaient déniées par nos ennemis. C'était le feu à l'état pur 35.»
Après le scandale provoqué par le happening Déchirex à l'American Center, Jean-Jacques Lebel et ses amis étaient à la recherche d'un autre lieu propice à l'organisation d'un happening. C'est tout à fait par hasard qu'on lui a proposé le théâtre de la Chimère, au 42 rue Fontaine, au rez-de-chaussée de l'immeuble où habitaient Elsa et André Breton. D'abord très proche du poète, Jean-jacques Lebel, avait ensuite été exclu du groupe surréaliste « pour cause d'anarchisme et d'inadaptation congénitale à toute espèce d'autorité». Il restait cependant en contact avec Elsa Breton. Jean-Jacques Lebel, «très satisfait finalement d'échapper à l'ambiance confinée autour d'un chef de file désormais porté par une camarilla sans autonomie, il se sent plus proche de Dada qu'il trouve plus subversif et fait de son happening un triple défi: au pouvoir, aux conventions de la scène artistique et au surréalisme exsangue de la dernière période».
L'artiste saisit donc cette occasion pour «affronter» Breton sur son propre terrain. Dans un entretien intitulé «Nous sommes tous surréalistes», publié dans Le Nouvel Observateur, ce dernier n'avait pas hésité à affirmer que « le happening, progéniture d'Hellzapoppin, me semble frôler un des pires écueils: la promiscuité sexuelle». Jean-Jacques Lebel revendiqua alors la référence à Hellzapoppin et dénonça la posture moralisante adoptée par Breton. Quant à la sexualité, 120 minutes dédiées au Divin Marquis devait être un des happenings où érotisme et subversion politique se sont emmêlés le plus inextricablement.
Le happening devait durer environ 120 minutes; une minute devait en principe correspondre symboliquement à chacune des journées des 120 journées de Sodome ou l'École du libertinage du marquis de Sade.
Un synopsis élaboré collectivement prévoyait notamment: «Projections» (Alaska-Araignées), « Le chant des 120 journées», «Le rêve d'Hoffmann», «Madame Ali», « Pipi d'artiste», «Nuclear Love», «Cynthia au couvent», « Le rite», «Cortège», « Le lit-projections» (les regardeurs regardés), « Flashs», «Vison de quelques réalités». Ceci n'était évidemment qu'un point de départ puisque, durant le happening, plusieurs actions non prévues ont été improvisées, d'autres déplacées, inversées ou transformées tandis que d'autres encore, notées préalablement, n'ont pas eu lieu.
L'entrée du public s'est effectuée, non par l'entrée principale qui donnait sur la rue, mais par l'entrée des artistes qui se trouvait à l'arrière, au fond du hall du rez-de-chaussée du 42, rue Fontaine. Par ce dispositif, le public était amené à emprunter le même couloir qu'André et Elsa Breton pour rejoindre leur appartement.
Lebel tenait beaucoup à ce que le public entre par-derrière, référence directe à l'univers sadien. Les participants étaient accueillis par des femmes nues agissant en douaniers qui prenaient leurs empreintes digitales avant de pouvoir traverser la «frontière» et passer à l'intérieur de la zone d'action.
Une dernière épreuve les y attend: la traversée obligatoire par un mince passage formé par des quartiers de viande sanguinolents, comme pour retourner et ressortir du ventre maternel.
Couverts de sang, les participants, devenus acteurs, se retrouvent directement sur scène en acteurs agissants, avant de descendre dans la salle entièrement vidée de ses chaises, où va se dérouler l'action.
Transformer, dit Jean-Jacques Lebel, une salle de théâtre en un espace neutre et vacant. sans aucune connotation spécifique, que celle plutôt confidentielle de l'identité de l'occupant de l'atelier du troisième étage de l'immeuble (Breton), c'était perturber les règles du jeu et placer le public au centre de l'énigme. Dès son arrivée en effet, il était accueilli par des flashs stroboscopiques produisant des phosphènes, effets optiques similaires à ceux du LSD, mais d'une brève durée. Ces flashs aveuglants faisaient perdre aux spectateurs leurs repères visuels habituels. Ce premier choc, en plus de la surprise qu'il provoque, invite le public à se montrer plus réceptif à l'action située hors du «temps commun» et le fait entrer dans un temps du rituel. La sensation de dépersonnalisation provoquée permet d'atteindre un état d'esprit psychique et corporel plus ouvert à la « folie», à la transe, au voyage sensoriel.
Le happening, contrairement aux schémas de type théâtral, permet la concomitance synchrone ou diachronie de plusieurs évènements dans une sorte de cut-up spatial et temporel.
La connexion des séquences s'effectue sur le principe de la simultanéité des improvisations comme dans le free jazz. Les participants se mettent en état d'écoute ouverte, improvisent et entrent en connivence psychique les uns avec les autres. Plusieurs actions se déroulent ainsi en divers endroits dans la salle ou bien à côté. La description des séquences dans un ordre linéaire ne peut donc rendre compte de cette multiplicité ni du caractère pluridirectionnel et polycentrique du happening.
Aux flashs stroboscopiques aveuglants s'ajoutent une ambiance chaotique surchauffée, des sons et des bruits assourdissants, ainsi que des projections de films de ou sur Allen Ginsberg, Piotr Kowalski, Marta Minujin, Taylor Mead, Merce Cunningham. Parallèlement aux nombreux micro-évènements, synchrones ou non, Shirley Goldfarb, une artiste américaine, chante et rechante a capella avec sa voix de soprano des extraits des 120 journées de Sodome du marquis de Sade, à la fois leitmotiv et fil rouge de ce happening qui ne devait pas se terminer dans la salle mais en différents points de Paris où des participants ont été déposés en autocar.
Une action, en hommage ému aux victimes de l'Holocauste, consista à découper et distribuer des étoiles jaunes semblables à celles que les nazis firent porter aux juifs. «Symbole de l'Autre, dit Jean-Jacques Lebel, l'image mythifiée (?!) du juif se confond dans l'imaginaire raciste avec celles des insoumis et des rebelles, entrés en résistance contre l'État policier et contre toute forme de répression ou de discrimination sociale. Le ressort paranoiaque de la haine et de la peur de l'Autre est ici mis en évidence ». Il est conseillé aux participants d'enlever leurs chaussures et de les déposer sur scène - allusion directe à Auschwitz et à l'horreur absolue des camps de la mort. Certains participants n'ont pu faire le deuil de leurs souliers et les ont réclamés le lendemain par courrier adressé à jean-Jacques Lebel.
Pipi d'artiste. Un des participants (Billy Copley) monte sur une échelle et pisse dans un entonnoir relié à des tubes qui redistribuent son urine dans des verres offerts au public.
Pendant ce temps, au balcon, une femme nue se met à pisser sur les personnes situées à l'orchestre qui se demandent d'où vient cette «pluie»... Cette action se réfère au rite du peyotl, du nom de ce champignon hallucinogène dont parle Artaud dans son livre consacré aux indiens Tarahumaras. Plus précisément, il s'agit du rite de la danse de guérison par le peyotl, durant lequel les sorciers enjambent le cercle sacré puis « pissent, pètent et se débondent avec des terribles tonitruements a » et crachent après avoir bu le peyotl. Les membres de la tribu pissent dans un bol et d'autres boivent cette urine dans laquelle la substance alcaloïde du peyotl est demeurée active. L'ingestion rituelle de ce liquide hallucinogène, au même titre que la pluie de sucre en poudre imbibée de LSD dont est couvert le corps de Cynthia, revêt donc une signification précise.
Après avoir pissé sur le public, la femme, du balcon, descend dans la salle à l'aide d'une corde. Elle est récupérée par Michel Asso qui produit de la musique «bruitiste» en promenant son micro sur la surface de son corps.
Gérard Rutten la transforme ensuite en sculpture « Déviation-Voie privée ».
Assise plus loin, une autre femme habillée en petite fille récite avec une voix d'enfant d'autres extraits des 120 journées de Sodome, murmurant certains passages à l'oreille des spectateurs, comme des secrets personnels partagés.
Les mamelles de la transe. Entre-temps, Jean-Jacques Lebel, qui porte une perruque bleue ainsi qu'une chasuble de prêtre tachée d'excréments, rejoint une autre officiante allongée nue sur une table cérémonielle, parodiant ainsi une sorte de messe érotique en écho à celle évoquée par Laure dans Le Sacré. Jean-Jacques Lebel la recouvre lentement de crème fouettée. Le public est ensuite invité à venir lécher cette crême à même le corps de la gisante. Une centaine de personnes se sont succédé pour accomplir cette tâche en frôlant carrément par moments le cunnilingus. Puis l'officiante, débarrassée de sa crème, se lève et se met sur le visage un masque de de Gaulle.
Figure du délire nationaliste, elle évoque les «deux mamelles de la transe» (bourrage et raturage).
La fessée Marseillaise. Jean-Jacques Lebel et Bob Benamou assis face à face, infligent à deux participantes déculottées la «fessée Marseillaise», laquelle consiste à taper sur les fesses nues de leurs partenaires au rythme de l'hymne national. Ensuite permutation, les «fesseurs» deviendront les «fessés» et recevront à leur tour la même fessée rituelle et patriotique. Tandis que la République, figurée par la femme nue portant le masque de de Gaulle, lève les bras et gesticule comme l'a fait le général à Alger déclamant à la foule: «Je vous ai compris!»
Cynthia au couvent. Cynthia et Denise de Casablanca apparaissent habillées en religieuses. Cynthia se déshabille lentement et cérémonieusement, se lave les fesses dans une bassine (allusion bien précise à la gestuelle des prostituées). Cynthia se livre par la suite à des activités aussi complexes qu'intimes et finit par se trouver face au public en révélant son corps féminin affublé d'un sexe... masculin!
C'est en ce moment que Lucien Goldmann, l'auteur du Dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine, subit un incident cardiaque. Des ambulanciers de police-secours appelés en urgence sont entrés dans la salle et ont dû se frayer un passage dans la foule; « mais les plus affairés rétorquent aux nouveaux arrivants que s'ils sont bien ce qu'ils disent, policiers ou brancardiers, eux sont en ce cas Napoléon, etc. » « Une civière passe finalement de main en main dans un grand désordre où l'on pense l'accident comme partie intégrante du happening ». On ne sait plus qui est qui, ni comment ni pourquoi. L'ambivalence règne.
Cynthia se lève et sort d'un cabas de ménagère des poireaux et des carottes avec lesquelles elle se sodomise. Elle les lance ensuite dans la salle au fur et à mesure. Le public en réclame encore. Elle se recouche sur un lit électrique, qu'un moteur fait vibrer. Puis Jean-Jacques Lebel et Frédéric Pardo installent Cynthia sur un énorme trône métallique, peint de couleurs fluorescentes. Frédéric Pardo agenouillé devant elle la gratifie d'une fellation, tandis que Jean-Jacques Lebel et Jean-Claude Bailly la saupoudrent de sucre imbibé de LSD. Une lumière noire éclairant les cristaux de sucre baigne cette séquence dans une lumière fantomatique. Quelques témoins comprennent-ils alors qu'il ne s'agit pas de sucre ordinaire mais de LSD ? Certains se précipitent pour le lécher. À un moment donné, des policiers, alertés par le propriétaire du théâtre de La Chi-mère, Mme Martini, tentent d'arrêter Jean-Jacques Lebel, mais dans la salle, le public s'y oppose. Il est de notoriété publique que Mme Martini est par ailleurs propriétaire de la plupart des bordels et boîtes de strip-tease du quartier de Pigalle. On lui fait remarquer qu'elle est mal placée pour crier au scandale. Pagaille.
La presse bien-pensante se déchaîne alors contre ce «théâtre de la honte» (sic) et s'indigne de la non-intervention de la police. « Les limites du scandale et de l'obscénité ont été dépassées la semaine dernière à Paris. Publiquement. Sans que la police intervienne», peut-on lire dans France-Dimanche, tabloïde spécialisé. L'auteur de l'article, après avoir dressé un bilan épouvantable de ce happening où « des bonnes sœurs se déshabillent» et où l'on voit «même des viols de femmes» (sic), s'adresse au préfet de police lui indiquant ce qu'il lui reste à faire: « interdire à tout jamais des spectacles de cette bassesse. Ne serait-ce que par respect pour tous les beaux, les vrais spectacles qui se donnent dans les théâtres de Paris».
Malgré ces réactions violentes, la deuxième version prévue n'a pas été interdite. En revanche, Jean-Jacques Lebel a reçu un courrier de Pierre Bodin, administrateur du théâtre, paniqué par les réactions de la presse et le scandale qu'ont entraîné les images publiées:
«Monsieur, Au cours des représentations des 4 et 5 avril 1966, qui débutaient le 3e Festival de la libre expression, organisé par vos soins au théâtre de La Chimère-Comédie de Paris, 42, rue Fontaine, des photos ont été faites et publiées qui prouvent que, contrairement à vos engagements et malgré nos avertissements réitérés, vous n'avez tenu aucun compte de la législation qui régit les spectacles (ordonnances concernant les mœurs, et mise en cause du président de la République)...» Lue à haute voix, cette lettre provoqua l'hilarité générale.
La deuxième version du happening s'est donc déroulée sous les yeux d'une vingtaine de policiers en civil et de l'administrateur du théâtre qui menaçait d'évacuer tout le monde au moindre incident. «Les acteurs savaient hier soir», écrit Patrice de Nussac dans un compte rendu, « qu'ils étaient obligés de pratiquer une certaine autocensure. Le mystère était de savoir comment. Les spectateurs eurent alors la surprise d'être conviés pendant une heure à les regarder dîner paisiblement sur scène, où une longue table était dressée. Lorsque l'impatience commença à gronder, certains vinrent se mêler au repas, puis on procéda à une distribution générale de vin et de biscuits. "Cela constituait la première partie du programme, explique Jean-Jacques Lebel, l'organisateur des happenings. Nous présentions un morceau de réalité quotidienne qui est elle-même un spectacle. Mais il n'y a pas de happening sans participation active du public. Comme nous ne pouvions pas l'organiser dans la salle, nous l'avons fait sortir pour la seconde partie, une promenade dans Paris en autocar."» Le happening s'est de nouveau terminé dans la rue.
Notons, précise l'artiste, que le reporter confond carrément deux soirées et plusieurs actions distinctes les unes des autres.
En effet, ce happening ne prit pas fin, loin s'en faut, au théâtre de la Chimère, 42, rue Fontaine, mais en cinq points différents de Paris.
Ainsi qu'en a témoigné Bemard Hiedsieck, cinq autocars attendaient à la sortie, dans lesquels les participants furent invités à prendre place sans que les destinations leur soient indiquées. Chaque autocar contenait une cinquantaine de passagers qui furent transportés et débarqués en pleine nuit aux endroits suivants: place Clichy au pied du socle vide de la statue de Charles Fourier, à l'entrée principale de la prison de la Santé, au pied de la statue de La Liberté au Point-du-Jour, à l'entrée principale de l'hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, au 42, quai des Orfèvres (préfecture de police).
Au moment de monter dans un des auto-cars, Jean-Jacques Lebel fut interpellé par la police et amené au poste, accusé d'« offense au chef de l'État et outrage aux mœurs » (sic).
Cet incident s'ajoutant à ceux qui étaient à l'origine du happening (interdiction de La Religieuse et des Œuvres complètes de Sade) ont provoqué des ripostes variées, principalement celle-ci :
Déclaration, Paris, 27 avril 1966
Une certaine presse a réclamé l'interdiction des happenings qu'elle jugeait dans leur contenu ou dans leur forme, contraires aux «bonnes mœurs» et «offensantes pour le chef de l'État». La brigade mondaine est donc intervenue pour exiger que les participants du 3° Festival de la libre expression pratiquent l'autocensure et des policiers seront présents lors de prochains happenings pour y veiller.
De telles mesures coercitives constituent un attentat net et intolérable contre la liberté de l'es-prit. Elles visent à étouffer un mouvement artistique allant à contre-courant des valeurs esthétiques, morales et politiques de l'État. Par conséquent, elles ne sauraient rencontrer de notre part qu'une opposition irréductible.
Ce texte fut signé par de nombreux intellectuels et artistes: André Breton, Duchamp, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Leiris, Jacques Rivette, Jean-Jacques Pauvert, etc.
Le nombre et la personnalité des signataires ont permis à Jean-Jacques Lebel d'éviter un procès et une condamnation, malgré les contrôles policiers et les appels à la répression de la presse à scandale. Par ailleurs, il a reçu beaucoup de lettres de soutien protestant contre la recrudescence de la censure et de l'ordre moral en France.
Maurice Nadeau - l'éditeur de l'ouvrage Le Happening -, dans une lettre à Jean-Jacques Lebel, s'est indigné: «Je sais que certains journaux, liés à la police, ont demandé cette interdiction. Comme hier, les couvents, celle de La Religieuse. Ainsi sommes-nous soumis à des minorités qui font la loi dans ce pays. Faudra-t-il bientôt un billet de confession pour assister à certains spectacles ou une autorisation écrite du commissaire de police? Tous les jours un peu plus, le climat de liberté intellectuelle dont nous étions si fiers, se dégrade. Ceux qui se croient encore des citoyens deviennent des sujets. Il est temps de réagir.»
Le journaliste Denys Chevalier, déplora à son tour «la participation» policière et l'entrave à la liberté des artistes, pour finir: « Tel quel, le 3° Festival de la libre expression doit être compris comme une phase particulièrement vive de la lutte que mènent certains contre le conditionnement, intellectuellement et physiquement abrutissant de l'homme moderne. Il a été un des plus efficaces parmi ces chemins des écoliers qui aujourd'hui aboutissent trop rarement à l'École de la Désobéissance.» Dont acte.