Serge Oldenbourg, aka Serge III ou Serge III Oldenbourg est né en 1927 à Meudon. Ses parents appartiennent à une longue lignée d'intellectuels russes : son grand-père, d'abord, est académicien et même membre du gouvernement en 1917. Son père est journaliste et historien. Sa soeur, est l'écrivaine Zoé Oldenbourg, femme de lettres et médiéviste émérite.
Si la famille s'installe à Meudon où se trouve une large communauté de russes blancs, c'est dans le sud de la France que Serge Oldenbourg trouvera refuge quelques années plus tard. Ses textes, son Journal de Prison, ses interviews et confessions permettent aisément de recomposer un itinéraire artistique où le grinçant côtoie l'absurde.
Nous lui laissons donc le plus souvent la parole...
Serge III s'installe à Nice avec sa petite amie en 1950. Il n'est alors encore qu'un peintre du dimanche qui occupe ses loisirs à la peinture. Très vite cependant, il se retrouve en contact avec les milieux artistiques niçois par l'intermédiaire du grand catalyseur que fut la boutique de Ben Vautier.
"Ma première rupture avec l'art classique des années 50-60 fut en février 1962. Bien avant que j'entende parler de Happening , j'ai proposé, pour 1 Franc, mon âme à Ben (Ndlr : dans son catalogue A propos de Nice, Ben écrit 20 Francs). Le but était de traiter avec dérision ce que d'autres prennent tellement au sérieux. C'était la première fois, mais non la dernière fois.
Ensuite je détruisis discrètement et tranquillement toutes les peintures, paysages et natures mortes que j'avais réalisés auparavant.
Ma première oeuvre contemporaine fut, sur une planchette, d'écrire "Ne tuez pas mes araignées". Autrement dit, interdiction de toute ingérence dans mes plafonds. Le fait d'écrire a été probablement inspiré par Ben".
"Puis un jour, étant en blue jeans, j'achetai dans un tabac des Gauloises bleues et des Gilettes bleues. Je réalisai que le bleu était une couleur importante et même la plus importante. Par exemple, Côte d'Azur, le ciel bleu, la mer bleue, le voile de la Vierge, le sang bleu, le bleu roi etc... Dans le commerce, dans la publicité le bleu est la couleur choc qui fait vendre.
Donc je me suis mis à rêver d'un monde bleu. Je n'avais pas encore entendu parler de Klein et je me mis à peindre en bleu tout ce qui me tombait sous la main. Je n'utilisais pas uniquement le bleu outremer de Klein mais tous les colorants bleus du bâtiment, les laques, les paillettes de bronze bleu et l'aniline. Mon idée n'était pas le monochrome et je peignais aussi des tableaux abstraits avec les bleus différents. Où sont-ils ? Je l'ignore, je ne travaillais pas pour la postérité.
Puis, après avoir fait le projet de peindre Nice en bleu avec des fusées chargées d'aniline, je me désintéressai du bleu".
Ben rencontre Georges Maciunas en octobre 1962 par l'intermédiaire de Daniel Spoerri qui l'invite à participer au festival Misfits à Londres où Ben figure au programme avec Robert Filliou, Addi Kocpke, Gustav Metzger, Robin Page, Benjamin Patterson, Per Olof Ultvedt, Emmett Williams.
En juillet 1963, George Maciunas arrive à Nice à l'occasion de l'événement organisé par Ben : le Festival Mondial Fluxus et Art Total.
Organisé sur une durée d'une semaine, le festival investit les rues de la ville et George Maciunas y donne un concert à l'Hôtel Scribe. Dans le public, se trouvent Daniel Biga, Jean-Marie Gustave Le Clézio et, bien entendu, Serge III.
Ce moment se révèle un instant clé pour lui : "Entre autres pièces, Ben réalise le "Violon Solo de Nam June Paik" et brise le violon sur une table. C'est le coup de foudre et une révélation. Je me fais dédicacer un morceau de violon par Ben."
"Au début 1964 Ben avec d'autres et moi-même, réalise deux concerts Fluxus à Nice puis tous les deux nous montons à Paris pour le festival de la Libre Expression qu'organisait Lebel (NDLR : Jean-jacques Lebel). Concert Fluxus dans lequel je joue à la roulette russe avec un vrai révolver et une vraie balle.
Deux amis, Robert Bozzi et Una Linktus voulaient m'empêcher de le faire et j'ai été obligé de leur dire que le revolver ne serait pas chargé. D'où le bruit qui courut comme quoi le révolver n'était pas chargé. Il l'était, et Robert Filliou, qui devint un de mes amis les plus chers en a toujours témoigné, parce qu'il m'avait vu tout de suite après la performance".
Probablement touché par l'audace de Serge III, il lui dit alors : "Ne refais jamais ça".
Des liens solides s'étaient noués. Tant et si bien que Serge III fut associé à l'expérience de la Cédille qui sourit, installée dès l'année suivante à Villefranche-sur-Mer. Il y eut toutefois quelques personnes pour douter de la réalité de l'événement. Jean-Jacques Lebel, se trouvait tout proche de Serge III au moment des faits, dans une salle surchauffée de 400 ou 500 personnes et précise de Serge III "avait l'air tellement intense" qu'il l'a fait et « Serge n'était pas un tricheur, et je ne sais pas pourquoi il aurait triché. »
Pierre Restany, présent dans le public ce jour-là, mais aussi Emmett Williams, venu avec Fillliou, Williams, Carl Brouw et Mark Bruss interpréter la pièce Spaghetti Sandwich à quatre en furent tout-à-fait convaincus.
Du reste, Serge III balaya la question du risque de mort par cette seule réflexion : "Le poids de la cartouche devant normalement entraîner le barillet vers le bas, le risque encouru est statistiquement moins grand qu'il n'y paraît".
Un jour de 1964, je pense, je lus que les Grecs de l'Antiquité décoraient leurs amphores, non pour la postérité, mais pour inciter le consommateur à acheter le vin qu'elles contenaient. De là, j'ai réalisé que le contenant est toujours la fonction du contenu et que primitivement le contenu prime toujours le contenant.
Contenu-contenant, message-langage, fond-forme, même combat.
Pour matérialiser le concept, je fis des moulages intérieurs de contenants. Soit des contenus de bouteilles, paquets de cigarettes, de café, appareils photos, armoires. J'ai réalisé des contenants d'armoire pour Sigma 5 à Bordeaux en 1969n au musée d'Art Naïf à Flayosc en 1973, à Porto (Portugal) en 1974 et au Centre Georges Pompidou en 1977.
Puis prenant à rebours le souci des peintres de réaliser des oeuvres qui durent des siècles, je fais des tableaux dont les couleurs disparaissent à la lumière.
Je réalise aussi deux toiles avec des peintures qui ne sèchent pas. Je suis obligé de m'en débarrasser parce que ne séchant pas, le moindre contact répercuté la peinture sur les mains, sur les vêtements et partout, c'est un cauchemar.
En octobre 1966, nous partons Ben et moi pour présenter des Happenings et concerts Fluxus à Prague.
Nous y faisons deux prestations avec Dick Higgins, Allison Knowles et Milan Knizak. L'ambiance générale est pesante, l'endroit où nous sommes logés est inconfortable et insalubre. Ben décide brusquement de partir. Je lui rappèle que les Tchèques attendent encore deux séances mais il ne peut supporter d'attendre le week end puis encore deux jours ; il part.
La suite est racontée dans mon journal de prison. Je donne mon passeport et un costume à un soldat. Il va faire ses adieux à sa petite amie en lui disant par qui il a eu vêtements et passeport et fiche le camp en Autriche. La petite amie commence à tout raconter à Knizak et à d'autres et puis va dénoncer tout le monde à la police. Arrestation. Six mois de préventive. Jugement. Appel. Condamné à 3 ans de privation de liberté. Je suis emmené à la section des étrangers de la prison de Prague. Après quatorze mois de prison on m'expédie en France, échangé contre un espion tchèque.
La prison ne m'a pas changé, j'y avais affirmé que j'étais un homme libre avec une prison autour. Par contre, j'y ai pris conscience de moi-même, d'une certaine force morale, d'une certaine solidité. J'étais plus sûr de moi.
J'y ai pris conscience également que l'essence de l'art est subversive, que le geste artistique étant une réaction de l'individu contre le milieu, le but conscient ou inconscient de ce geste est de persuader ce milieu de se modifier.
Je ne répèterai jamais assez qu'il ne faut pas confondre subversion et contestation. La contestation est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus, alors que la subversion en est le point de départ.
Mars 1968, Marcel Alocco organise une exposition à Lyon, chez Guinochet et Guillaumon, une exposition sur les nouvelles tendances de l'Ecole de Nice. Il m'y invite, ainsi que Daniel Biga, Ernest Pignon, Saytour, Dolla, Strauch et j'en passe. Nous y montons Jacques Strauch et moi en voiture. J'y présente des Christ et des croix. Des Christ sur porte-manteau, sur disque, dans une gaine de révolver, dans un aquarium. Pendant la prolifération des tendances formalistes support-surfaciennes, faire de ladérision, ce n'est pas sérieux.
Concerts Fluxus à Avignon et à Florence. En juin 1969 Ben et Merino organisent le Festival non-Art.
Pour ce festival, je repeins en vinyl blanc tous les tableaux à ma portée et je les expose au Yati. Je le fais pour montrer que ce n'est pas l'oeuvre originale qui est importante mais son contenu. Je ne détruis rien, car on peut revenir vers le passé et décaper le vinylique, rester au présent et garder la toile blanche ou aller vers le futur en repeignant autre chose à la place.
C'est à ce moment que je réalise mon geste.Auto-stop avec un piano. Ben m'avait dit que je ne sais quel type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu'il pouvait en ajouter deux, auto-stop et navigation en piano.
Dans le cadre du même festival, j'ai organisé une manifestation de masse à l'Ile Saint Honorat. Nous y sommes allés, Ben, Dietmann, Monique Bentin, Mérino avec compagnes et enfants et avons fait un pique-nique fort sympathique. Francis Mérino y a brûlé une oeuvre de Farhi. C'était très réussi, d'autant plus que toute la journée nous avons été surveillés par deux agents en civil qui n'ont probablement encore rien compris.
A la fin de l'année, l'Ecole de Nice est invitée à participer à Sigma 5 à Bordeaux.
J'y participe en présentant un contenu d'armoire. C'est un travail de romain que de gâcher vingt sacs de plâtre et de les verser seau par seau dans l'armoire en montant sur une échelle. C'est à Sigma que j'ai bien sympathisé avec Claude Gilli. Il voulait faire un lâcher d'escargots mais les autres artistes avaient probablement peur de la bave et n'étaient pas très chauds. Sur quoi j'ai dit à Gilli que je trouvais son idée très belle et qu'il pouvait les lâcher tranquillement sur mon contenu d'armoire.
En 1970, je suis invité à participer à l'expo Environs II à Tours, j'annonce que je ferai quelque chose. J'y arrive en train le 7 mai à deux heures du matin et je m'écroule dans un hôtel. Le 8 au matin, je vais acheter un pistolet à amorces d'un aspect réaliste. Je passe voir les organisateurs, je leur dis mon projet et leur demande de convoquer la presse. Vers 15h, je monte dans un autobus, deux minutes plus tard, je braque le chauffeur et lui ordonne de tourner vers la bibliothèque où il y avait l'expo. A la différence d'un avion, un car peut s'arrêter en plein vol, surtout s'il y a un Agente de police à côté. Bref, arrestation. Poste de police, fouille (à poil) interrogatoire :
- Pourquoi avez-vous fait ça ?
- Pour faire un geste artistique.
- C'est pas artistique !
- L'année dernière j'ai fait de l'auto-stop avec un piano comme geste artistique, aujourd'hui j'essaye de détourner un bus.
- L'auto-stop avec un piano c'est artistique. Détourner les bus, non !
Que dire ? La nuit, la matinée, le début de l'après-midi au poste puis on me relâche.
Je passe voir les gens de l'expo et j'ai tout juste le temps de casser la croûte et de prendre le train pour Montpellier où se manifestent cent artistes dans la ville.
Là, j'organise un repas dans un restaurant :
entrée Yaourt
potage Yaourt
légume Yaourt
fromage Yaourt
dessert Yaourt
boissons au choix.
En été 1970, je présente chez Ben la première série des Marines. Comme public, les copains et une visiteuse (devenue amie par la suite).
Le 2 septembre, je fais célébrer la défaite de Sedan. Dans une galerie éphémère située au Pont du Loup j'ai présenté près d'une centaine d'objets ou drapeaux tricolores en déniant aux militaires l'exclusivité du drapeau et en revendiquant les trois couleurs pour tous les objets d'usage quotidien.
Entre temps, le tribunal de Tours me juge par défaut et me condamne à 500 F d'amende pour violence avec préméditation pour le détournement d'autobus. Etant plutôt gêné financièrement, je fais imprimer une circulaire et je fais un appel au peuple pour payer mon amende. Très rapidement le total à payer est couvert et même au-delà ce qui me permet d'éditer une petite plaquette (tirage de misère) relatant l'affaire, avec photocopie des documents à l'appui à l'usage exclusif des donataires (que je remercie de nouveau).
Pendant l'été 1971, Ben organise à la galerie De La Salle, à Vence, une exposition sur paravents de ses copains. Un paravent, c'est très peu par tête de pipe.
Avec Francis Mérino de Monaco, nous organisons une série de repas intitulés : FAITES Le VOUS MÊMES. Nous invitons une dizaine de personnes dans un restaurant et leur disons notre espoir qu'il en sortira quelque chose. Ce furent quelques soirées bien sympathiques, mais pas plus que les socio-drames, les socio-bouffes n'ont rien donné.
Il y eut à Flayosc (Var) un restaurant-galerie dont la charmante propriétaire patronnait des expositions d'Art Naïf présentées par Frédéric Altmann. J'y allais assez souvent avec mon ami Francis Mérino et un jour j'inventai un peintre naïf. Il y a eu le douanier Rousseau, le Facteur Cheval il me fallait un gendarme, ce fut le gendarme Cibalo (hommage à Brassens). Il n'empêche que le plumitif de Nice Matin, édition Var, l'a cité en tant que futur exposant de la galerie. Il est vrai qu'en parlant de mon travail il a remplacé le mot subversion par le mot subvention (lapsus calami).
En 1972, avec Daniel Biga, poète et Jean Mas, plasticien, nous faisons une série d'expositions dans les MJC de la région avec à chaque fois une soirée pour discuter avec le public. Un bide. C'est bien parce que le public ne prend pas la parole que nous la prenons.
En 1973, ça bouge. C'est une année d'activité intense dans tout le sud de l'hexagone.
En janvier-février l'expo Hors Langage, organisée par Jacques Lepage dans le hall du théâtre de Nice. Je n'y expose pas d'oeuvres, j'y campe. J'ai installé ma tente avec des pains de fonte pour tenir les tendeurs, mon duvet à l'intérieur, et moi ayant la clé du théâtre, venant y dormir tous les soirs. J'y ai trouvé une lettre d'une admiratrice disant qu'elle comptait me rejoindre dans la tente, cette petite sotte ne l'a pas fait. Et aussi un mot de Ben qui espérait me piéger et que j'avais tranquillement enfoncé avec mes pieds au fond du duvet (le mot). J'y ai invité des amis pour fêter mon anniversaire et Gabriel Monnet nous a offert deux bonnes bouteilles.
Peu après, à La Rochelle, quarante ou cinquante artistes sont invités à exposer dans la rue (du Temple). Pour la rue, il faut de l'art de rue. J'accroche à des câbles, en hauteur, une crois de 2m50 de haut sur laquelle est un petit panneau " le Christ revient de suite". Ironie et dérision, bien sûr, mais également le message contenu dans le nouveau Testament : " Le Christ peut venir à n'importe quel moment".
A La Rochelle, je réalise que c'est pratiquement la première fois que je sors de Nice. Je commence à exister dans l'haxagone. Je rencontre des amis solides : Dominique Jalabert, de Bordeaux, Balbino Giner de Toulouse, Jacques Pineau de Limoges, José Luis Da Rocha, portugais de Paris.
De là, je suis invité au Festival d'Occitanie à Montauban. J'y vais, toujours avec la ECV, avec P.A. Hubert. En roulant, j'explique à Hubert que les incendies de forêts sont souvent provoqués par des mégots incandescents et qu'il fallait les mettre dans le cendrier de la voiture. Une fois passés à St Gilles (Gard) je jette tranquillement mon mégot par la portière en disant " ça ne passera pas le Rhône".
A Montauban, il s'agit de faire une oeuvre éphémère à partir de matériaux trouvés sur place. En dehors de Hubert et de moi, tous les autres artistes avaient apporté leur production habituelle et l'ont accrochée dans le square Bourdelle.
Comme matériaux, il y avait des planches, du fil de fer et diverses choses. Je fabriquais une potence sur laquelle je mis l'inscription "Défense d'accrocher". Puis, n'ayant pas un goût pour l'éphémère, j'en fis don au musée Ingres, dont le conservateur m'a chaudement remercié.
Entre temps, dans plusieurs villes, il y avait eu des révoltes dans les prisons. En tant qu'ancien détenu, je me rendais compte du désespoir auquel il fallait atteindre pour en arriver à se mutiner. Pour tous ceux pour qui il ne s'agissait que de faits divers, j'ai pensé et réalisé "les prisons". C'est très simple : un cadre avec des barreaux et un miroir derrière. Celui qui s'y voit, s'y voit en prison. Oeuvres exposées à la Galerie Ferrero à Nice.
Au mois d'août, exposition collective à la MJC de Grasse. Nombreuses manifestations contre la politique raciste de la municipalité. Je fais, à la mairie une demande d'autorisation de lavage de drapeaux dans la piscine. Autorisation refusée (le Maire a-t-il eu peur que les drapeaux salissent l'eau de la piscine ?). Tant pis, je les lave dans un grand baquet, les repasse, les plie et j'y brode ma signature, de façon qu'on ne puisse plus les déployer.
L'intérêt de ces manifestations collectives, c'est les rencontres et les contacts avec d'autres artistes? A Grasse, avec Da Rocha nait l'idée d'une série d'expositions au Portugal. Il y aura Moucha, Tomek, Kawiak, Klassnik, Pineau, Da Rocha, moi-même et d'autres encore.
Le chapitre portugais s'ouvre sur une proposition du critique Egidio Alvaro et du galeriste Jaime Isidoro. Ils invitent les artistes à venir pour exposer à Porto. Pour payer les frais de route chacun recevra 1000F en échange d'une maquette de sérigraphie. Les sérigraphies seront réalisée par Da Rocha et réunies en portfolio pour la Galerie Dois à Porto.
Je demande à exposer le dernier. En défi contre le système totalitaire de Gaetano, j'ya amène des affiches de la Commune de Paris collées sur bois et quadrillées de fil de fer barbelé. Les gardes-frontières portugais ne s'y trompent pas. Défense de faire entrer ça au Portugal. Je les fais téléphoner à la Galerie Dois. Palabres, coups de téléphone à droite et à gauche et moi insistant toujours pour passer mes oeuvres d'art. Cinq heures plus tard, la solution est trouvée. On attache mes oeuvres en paquets, on plombe les ficelles et on me met un gendarme dans la voiture pour m'accompagner à Porto où tout est mis sous séquestre. Jaime Isidoro, très dynamique, se démène comme un beau diable, verse une caution et obtient le droit d'exposer mes oeuvres. Le vernissage a lieu le 22 avril. J'avais demandé qu'on amène quelques gosses du quartier pauvre, pour qu'ils mendient pendant le vernissage. Ce ne fut pas tout à fait raté, mais ces gamins de la misère ont trouvé ça si drôle qu'ils ont fait la manche en rigolant. Il parait qu'il y avait aussi des flics en civil.
J'ai reçu au Portugal, de la part de Jaime et de Marcellina sa femme, un accueil si chaleureux et si généreux que je pense que je serait toujours leur débiteur.
Trois jours plus tard une grande émotion, mon travail croise l'Histoire. C'est le 25 avril, c'est la chute du fascisme, c'est la révolution des oeillets.
Le premier mai est une telle fête populaire, que, ému presque aux larmes, je rassemble quelques amis à la galerie et symboliquement je coupe les barbelés sur un panneau que j'intitule "1er mai 1974, Porto" et je signe. Don de l'oeuvre au peuple portugais, bien entendu.
En 1974, je patricipe encore à deux expositions collectives, à Marseille : "Marginale 74", à la Vieille Charité, où je tends un rideau de barbelés entre deux salles en ne laissant qu'un étroit passage.
Et à Annemasse, à l'occasion de l'élection de Monsieur Giscard d'Estaing, je présente tombeau de l'Imbécile Inconnu, sous forme d'une urne géante sur laquelle est l'inscription : " A l'Imbécile inconnu la patrie reconnaissante". Je participe aussi à une expo-débat chez Ben, pour ou contre Serge III.
Puis je commence mon travail sur le coup de feu. Je présente en avril 1975 à la Galerie Jacques Boudin à Nice trois séries :
a) les affiches de la commune fusillées à coup de chevrotines,
b) les panneaux de bois présentant sur la même face une entrée et une sortie de balle,
c) une série de photos de cadavres de la bande à Bonnet à la morgue.
Apparition de la tendance dite Art sociologique sous le patronage de Bernard Teyssèdre, je participe à une expo "Art contre Idéologie". J'y expose une affiche de la Commune sous barbelés, mais de 1m x 1m50. Ça fonctionne bien, dit Marcelin Pleynet.
Jean Mas organise un stand de l'Ecole de Nice dans le cadre du Festival du Livre au palais des Expositions. J'y présente un grand plan de Nice sous barbelés tricolores.
L'année suivante, j'apprends que les organisateurs avaient modifié l'itinéraire du ministre, pour lui éviter de voir cette pièce. Non content de détourner les autobus voilà que je détourne les ministres.
En été 1975, Claude Viallat et Pierre Alain Hubert organisent au stade Vallier à Marseille une action, en principe, non stop, intitulée : "Les Six Jours de la Peinture". J'y participe en faisant cuire des nouilles bleues en hommage à Yves Klein, j'y rempaille des chaises et décerne mes premier "Brevets de spectateur". Pendant les cinq jours derniers jours je joue "La paranoïa de l'artiste" en me recouvrant petit à petit de pansements et en accusant, tantôt l'un tantôt l'autre, de m'avoir bousculé, frappé, jeté à terre etc... A la fin, je me suis redressé et ai offert à boire aux participants.
En 1976n Dany Bloch m'oblige, presque de force, à participer à l'exposition "Les Boîtes" à l'ARC. J'y mets un tableau de boîtes d'allumettes, une prison, une boîte contenu-contenant de paquet de Gauloises.
J'en profite pour confirmer à Dany mon estime et mon affection.
En 1977, je réalise une oeuvre nationalise occitane composée de pavés rouges avec La Croix occitane jaune et d'une dame de paveur tricolore, je l'expose pendant près de deux mois dans une ville d'une coopérative de papeteries, dite "Le bocal aux sculptures" et l'annéed'après je l'amène à Limoges pour l'exposition "Nouveaux Langages", organisée par Egido Alvaro.
Depuis longtemps Frédéric Altmann envisageait d'exposer mon travail dans sa Galerie l'Art Marginal. Au début de l'année 1978, on se décide pour septembre. On dit souvent que le milieu d'artistes est est un manier de crabes, eh bien ! cette fois on a menti. Au moins de juin je m'étais fracturé le poignet gauche, ce qui me limitait beaucoup et brusquement tout, surtout le catalogue, fut réalisé avec l'aide des copains.
Noël Dolla m'a aidé à transporter les oeuvres à la GAC et les a photographiées. Bruno Mendonça m'a avancé l'argent pour acheter le papier.
Philippe Tixier m'a envoyé chez un de ses amis pour tramer les photos et faire les plaques offset à un prix super concurrentiel et dans un deuxième temps m'a imprimé le catalogue ce qui fait que je n'aie qu'à le réunir et le coller. De plus, Frédéric m'a remboursé les frais occasionnés par la réalisation de ce catalogue. Le vernissage fut un grand succès d'estime et d'amitié, ce qui pour moi était plus important que les ventes (qui furent faibles).
1979 - année bien remplie puisqu'elle commence par une exposition à Toulouse où je présente un tableau jeu, consistant en un mur sur lequel était inscrite en latin la formule "par ce signe tu vaincras" et douez panneaux recto-verso, soit vingt quatre signes ou emblèmes que le public était invité à placer comme signe vainqueur.
Cette pièce fut présentée dans les rétrospectives Fluxus à l'ELAC à Lyon et à la GAC à Nice.
L'automne 1979 fut cascadé à la préparation de la manifestation du centenaire de la naissance de Staline, qui eut lieu dans les locaux de Calibre 33, is it art ? Ayant envoyé une circulaire et ayant demandé aux destinataires de la répercuter, j'eus près de soixante envois dont certains des Etats Unis, d'Italie ou d'Allemagne Démocratique. Ce fut un gros travail pour une seule journée de présentation mais quelle journée ! Les locaux de Calibre 33 étaient pleins de monde, j'y lus un discours, Farioli et Giovanelli y firent de remarquables performances.
Puis je soufflai quelques jours et filai à Porto pour y présenter une nouvelle série d'agressions d'identité. J'ai failli y attraper une dépression en réalisant et attendant le catalogue, qui finalement fut prêt à temps, presque à la minute. Puis, dans la foulée, j'y passais Noël et le Jour de l'an dans l'amicale et chaleureuse ambiance de mes amis Jaime et Marcelline. En passant près d'un local maoïste à Lisbonne, j'ai constaté que eux fêtaient le 1er centenaire de Staline.
Déjà en 1974, j'avais fait une petite écriture "Attention art méchant" ; en 1980 je résolus de l'illustrer en fabriquant des armés, épées, masses d'armes, fléaux de guerre, crocs, hache de bourreau, francisque, etc... et en quadrillant de barbelés des personnages de bande dessinée (innocentes victimes de l'art méchant) et des pin-us représentées sur des affichettes de Détective qui étaient beaucoup plus ambigües. Je pense que tout cet outillage provoquait des réactions contraires et incitait plutôt à la non violence qu'à la violence.
Entre temps, j'avais adhéré à l'association Calibre 33 et nous avons réalisé plusieurs manifestations ensemble.
Une exposition des artistes de Provence Côte d'Azur ; tout fut réglé par courrier et par transporteur, je ne peux rien en dire.
Je nous fis inviter à la IIème Biennale de Vila Nova da Conda, également au Portugal.
L'année suivante, 1981, nous fûmes invités à exposer à La Chapelle des Célestins, dans le cadre du Festival d'Avignon. L'exposition "Midi et demie" était organisée par Alain Avila. La manifestation s'est déroulée au milieu de heurts et d'engueulades, sans que, le temps ayant passé, il y eut des causes vraiment graves à cela. Il n'empêche que ce fut une belle manifestation et il y eut plusieurs performances de haut niveau, notamment celles de Daniel Farioli et de Gilbert Pedinielli. J'y avais présenté un second tombeau de l'imbécile inconnu à l'occasion de l'élection de Monsieur François Mitterand. En 1981, commencèrent des divergences dans la politique de fonctionnement du groupe entre les autres et moi même, ce qui aboutit, le 1er mai 1982, à ma démission.
J'assumai ma place dans le groupe lors de notre exposition au Couvent Royal de St Maximin ou je présentai la série de marines, qui me fut achetée par Claude Fournet, et une série de personnages de bandes dessinées en situation dans l'Histoire de l'Art.
En 1984, je participais à l'exposition par le CNAC "L'écriture dans la peinture", non pas à la villa Arson, mais dans les lieux dits parallèles, c'est à dire, à l'Arroyo, à Calibre 33 et à la Différence.
Puis je fus invité, par Alain Gibertie à participer à une expo Fluxus et à un concours de pétanque artistique, en Dordogne, dans le Périgord. Il s'agissait, pour chaque artiste, de réaliser un terrain de pétanque et d'y faire jouer les champions du pays. Il y en eut de drôles, il y en eut qui auraient pu tourner au tragique. Les organisateurs, bien que plein d'enthousiasme, furent trop optimistes dans leurs prévisions budgétaires et, surtout Alain Gibertie, subirent un lourd fiasco pécuniaire. Détail amusant, c'est au Périgord qu'on a servi aux artistes des raviolis de conserves.
En été 1965, vinrent s'installer à Villefranche sur mer, à quelques kilomètres de Nice, Robert Filliou et George Brecht. J'avais déjà sympathisé avec Robert Filliou l'année précédente. Après que j'aie joué à la roulette russe, il m'avait dit : "Ne refais jamais ça". Ils vinrent là pour créer un petit local pour y montrer et vendre diverses éditions de Fluxus, des nouveaux réalistes et des oeuvres de copains.
J'appris à les connaître d'abord en faisant des travaux d'électricité et de peinture ; ensuite en venant les voir très souvent. George Brecht, Filliou, Eric Dietman et moi-même formions tellement un groupe qu'on finissait par dire que nous étions l'Ecole de Villefranche. Il faut dire que tous les quatre, nous buvions beaucoup et la plupart des artistes niçois trouvaient que cela faisait mauvais genre. Je me souviens d'une parole d'Erik : "Qu'est-ce que c'est que ces mecs de l'Ecole de Nice, ils ne boivent pas, ils ne fument pas, baisent-ils seulement ?" Je fus leur premier client. J'achetais pour 5 Francs une feuille de timbres Fluxus.
Par leur sérénité et leur générosité, Robert et George m'ont beaucoup appris. Je ne saurais dire quoi mais c'est penser à eux et aux moments qu'on avait passé ensemble qui m'a permis de tenir le coup en prison.
C'est par eux que j'ai connu Daniel Spoerri, qui nous a invité à manger, Marianne, Robert Filliou et moi-même. En arrivant à la Trappe, il a demandé au garçon : "Vous avez des couilles ?". Heureusement le garçon a tout de suite compris qu'il s'agissait de testicules de mouton et a répondu oui. Depuis, quand nous nous retrouvons, c'est la fête.
Nous nous retrouverons plus avec Robert Filliou.
Un autre ami que je retrouverais plus, c'est Thierry Agullo. Nous avons fait connaissance dans un vernissage quelconque à Paris vers 1975 et avions sympathisé. Entre autres parce que nous avions tous deux une belle descente et à peu près les mêmes idées sur l'essence subversive de l'art et la provocation.
En 1978, il m'avait invité chez lui à Budos pour me montrer des documents et faire un tir sur un livre qui s'appelait : l'Empan. Le geste s'intitulait : "Pan sur l'Empan". Malgré mon bras dans le plâtre, je fis mouche à tous les coups. C'est chez lui que je retrouvais Dominique Jalabert que j'avais déjà vu à La Rochelle, à Montauban et à Grasse en 1973.
Le principal défaut de Dominique est la modestie. Il m'a beaucoup aidé et encouragé. Je citerai aussi Sacha Sosno et Jean Mas, amis niçois sur qui je sais que je peux compter et qui peuvent compter sur moi.