Stéphane Mandelbaum et l'âme noire du monde
La vie de Stéphane Mandelbaum, de rebondissement en rebondissements, a longtemps alimenté la rubrique des faits divers belges. Né à Bruxelles en 1961, Stéphane Mandelbaum est le fils de Arié Mandelbaum, peintre de confession juive qui a eu lui aussi son heure de gloire et de sa mère Pili, peintre également. Très tôt, le jeune prodige manifeste une disposition particulière pour le dessin, contrebalancée par une profonde dyslexie. Ce handicap amène ses parents à l'éloigner un temps du domicile familial pour le placer dans une institution où il réapprend à écrire. Tout juste âgé de 16 ans, il entre ensuite à l'Académie d'art de Watermael-Boitsfort où il suit l'enseignement du Professeur Lucien Braet avant de s'initier à la gravure avec Anne Wolfers à l'Ecole des arts d'Uccle.
Dès sa première exposition en 1982, tout l'univers de SM est déjà en place. Interrogeant ses origines juives, SM s'applique à représenter les figures noires et nauséabondes des dignitaires nazis tout en peuplant la marge de ses oeuvres d'inscriptions et de mots. On le sait également fasciné par le film Portier de nuit de Liliana Canvani qui trouve son expression la plus forte dans un dessin intitulé, par dérision et goût pour le malsain : Rêve d'Auschwitz. Son terrain de jeu s'impose de manière irréprécible comme celui de l'obscénité. Pasolini et Bacon, tout comme la pornographie et les pauses lascives de femmes deviennent des leitmotiv de son oeuvre. Au milieu des dessins et de croquis, reflet d'une pratique compulsive du trait, un des dessins réalisé alors qu'il n'a que 15 ans, résonne aujourd'hui comme la chronique d'une mort annoncée : il s'y représente, suspendu à des crochets de boucher, le sexe mutilé.
Mais la vie de Stéphane Mandelbaum, au-delà de son oeuvre graphique, ce sont aussi ses mauvaises fréquentations. Marié très jeune à une jeune zaïroise qui répond au nom de Claudia il aime les armes et fréquente les malfrats du quartier des Matonges. Tout bascule en août 1986 et c'est alors la grande fuite en avant jusqu'à l'issue fatale. En compagnie de ses complices, il agresse un fonctionnaire européen pour lui voler un ensemble de statuettes netsukes avant de les écouler sur le marché de la contrebande. En septembre, c'est au tour d'un collectionneur de voitures de subir l'attaque de ce qui ressemble désormais à une bande bien organisée planifiant ses agressions. Un peu plus tard, les minutes du procès ou comparaitront près d'une dizaine de prévenus, rapportent que Stéphane Mandelbaum propose lui-même de s'introduire chez une vieille dame du quartier d'Ixelles, propriétaire d'une oeuvre de Modigliani. Le vol à main armée a lieu le 12 octobre 1986 et le butin, alors estimé à 70 millions, sonne la mort du jeune artiste tout juste âgé de 25 ans, sans que la justice ne parvienne véritablement à définir la culpabilité de tel ou tel de ses complices. A la suite d'une mésentente sur le vol et la revente du tableau, Stéphane Mandelbaum est tué de deux balles puis dissimulé dans un terrain vague qui jouxte une écluse des environs de Namur. La Justice n'est pas parvenue à élucider le crime. Elle a même fini par rendre un non-lieu en faveur des inculpés. Ram Weinbaum, l'un des inculpés de l'époque, se suicida en prison pendant l'été 1987.
Entre fascination et répulsion, l'oeuvre de Stéphane Mandelbaum connaît aujourd'hui une explosion des prix et regroupe passionnés d'art et galeristes. Une association des amis de Stéphane Mandelbaum officie à recueillir, indexer et diffuser son travail quand le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective composée d'une centaine de dessins.