Exposition Riopelle / Waldberg, 1952
Exposition
Gratuit
Peinture
Sculpture

Isabelle Waldberg / Jean-Paul Riopelle Exposition collective

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Vernissage
ven 7 Mar 1952, 17:00

Galerie Henriette Niepce
19 rue Rousselet
75007 Paris
France

Comment s'y rendre ?

Jean-Paul Riopelle et Isabelle Waldberg exposent peintures, gouaches et objets chez Henriette Niepce, entre les rues de Sèvres et Oudinot nous annonce le prospectus de l'exposition, enrichi d'un texte du critique d'art Robert Lebel :

Le moment pourrait être venu de passer au crible le complexe de décadence dont toute entreprise artistique est aujourd'hui enveloppée comme d'un nuage. Car si la critique chante toujours victoire, c'est en spécifiant bien qu'il s'agit des victoires d'hier. L'art des époques antérieures est doté d'un poids si écrasant que l'artiste actuel peut tout au plus prétendre au rôle d'honnête épigone.

L'art d'aujourd'hui, dans sa partie qui se relie directement à l'âge d'or, est donc, par destination, nostalgique. Chacun doit démontrer d'abord qu'il ne démérite pas des divinités. Quant au public, s'il est reconnaissant à l'artiste actuel de ne pas le dérouter, il a lu trop de livres pour ne pas s'attendre à d'évidentes métamorphoses. Il s'impatiente de ne pas avoir la moindre révolution plastique à se mettre sous la dent et commence à tenir rigueur aux artistes d'aujourd'hui (qui, visuellement, le comblent) de ne pas lui fournir sa part prescrite de nouveauté. L'académisme moderne est semblable à celui de toujours sauf qu'il est le premier, sans doute, à souffrir d'une conscience malheureuse.

Pour l'amateur averti, l'artiste actuel qui lui paraît n'avoir rien inventé serait donc une sorte de retardataire, le rejeton demeuré d'une lignée de brillants sujets dont l'envergure lui ferait défaut. Ainsi, pour le spectateur déçu, le dompteur n'est plus assez souvent dévoré. "A votre âge, mon cher, Seurat était déjà mort et Van Gogh déjà fou ". Les lois de l'esthétique ont fait place, en somme, à l'étiquette du calendrier.

L'amateur d'art exige à tout prix des sensations fortes mais l'histoire, dont il se réclame, enseigne qu'il est incapable de les supporter lorsqu'on les lui offre. Ce qu'il demande, en réalité, ce sont des sensations fortes à titre rétrospectif, déjà sensiblement émoussées par l'usage et considérablement remâchées par les professeurs. Rien n'est aussi calme et ennuyeux que les révolutions véritables, vues de l'extérieur comme elles le sont toujours. Ceux qui les ont faites eussent tiré la même exaltation d'une révolution avortée. Ce qu'ont éprouvé les témoins, est encore plus suspect car leur version est inévitablement modifiée selon la suite des événements. L'histoire de l'art, autant que l'histoire politique, est un roman-feuilleton qui s'échafaude après coup. On y ajoute de l'émotion, de l'aventure, du "thrill", pour élever à l'échelle du grandiose des faits en eux-mêmes peu ostensibles. Mais on se persuade finalement que l'Impressionnisme, par exemple, a été une source continue d'intense surexcitation alors que, pour les peintres qui l'on vécu, il n'était qu'une longue usure quotidienne et que, pour le public contemporain, il n'a pas même existé.

On cherche donc où est l'autorité qui permet aux amateurs et aux critiques de juger leur époque et de décider si elle est, ou non, décadente. Ils ont toutes les chances de ne pas être prévenus en temps utile des révolutions qui s'accomplissent sous leurs yeux et les révolutions qu'ils guettent, en s'aidant des livres, sont déjà terminées. Leur système de référence se réduit à comparer ce qui est vivant à ce qui est mort et à rendre obligatoire la parodie. Chaque époque trouve son propre rythme qui sera, peut-être, celui de l'extrême lenteur succédant à la hâte essoufflée ou bien, au contraire, celui du jet brutal qui laissera l'ancienne peinture sur place. Le génie consiste tantôt à tout bouleverser, tantôt à placer un point après la phrase qu'ont écrite les autres. L'artiste, rappelons-le, n'a pas nécessairement à distraire le badaud qui se comporte en seigneur du cirque.

ROBERT LEBEL.