
DANCEDANCEDANCE Thomas Broomé
Bendana| Pinel Art Contemporain a le plaisir de présenter « DANCEDANCEDANCE », quatrième exposition personnelle de Thomas Broomé à la Galerie.
J’ai vu un jour une danseuse répéter sans cesse le même mouvement. Elle a commencé par une petite inclinaison du poignet. Elle a recommencé. Puis elle a ajouté quelque chose - une rotation de la tête, un déplacement de poids. À chaque répétition, la séquence s’amplifiait. C’était beau dans sa simplicité, mais aussi troublant. Ce qui n’était au départ qu’un geste est devenu un modèle. Ce qui semblait spontané est devenu mécanique. J’ai pensé que c’était ainsi que l’on écrit un programme - une ligne ajoutée à la suivante, non pas pour l’expression mais pour l’exécution. Une danse, oui, mais qui ressemble plus à du codage qu’à de la joie.
Cette image m’est restée en tête. Parce qu’à bien des égards, c’est ainsi que nous vivons aujourd’hui. Une habitude à la fois, un coup, un like, une transaction. La chorégraphie de la vie contemporaine est construite à partir d’instructions invisibles, de schémas que nous ne nous souvenons pas d’avoir appris mais que nous exécutons d’une manière ou d’une autre. Nous appelons cela la liberté, mais nous nous déplaçons au rythme de forces que nous ne contrôlons pas. Le capital, les médias, le design donnent le tempo. Nous répondons. Nos vies deviennent une sorte de danse : apprise, automatique, optimisée, répétitive.
DANCEDANCEDANCE est une exposition sur cette chorégraphie. Dans chaque tableau, un objet - un bouquet de fleurs, une bouteille, une sculpture - est recouvert du mot DANCE, répété de manière obsessionnelle. Il enveloppe chaque surface comme une peau, comme un code, comme une idéologie. L’objet ne demande pas à être admiré. Il vous demande d’y participer. La répétition n’est pas décorative, elle est directive. Elle chuchote : c’est ce que nous faisons maintenant. Nous dansons pour rester inclus. Nous dansons pour rester visibles.
Aussi, les objets sont beaux - luxuriants, radieux, séduisants. C’est là le piège. L’esthétique du contrôle est douce, pas dure. Nous ne sommes pas forcés d’entrer dans la danse. Nous sommes invités, récompensés et parés pour cela. Nous apprenons à apprécier le rythme même s’il nous vide. Les fleurs ne s’épanouissent pour personne. Les flacons de médicaments brillent. Tout est éclairé comme il faut. Le mot « DANCE » bat sous la surface comme un système nerveux.
Danser avec un gouvernement, ce n’est pas danser avec un partenaire, c’est plutôt danser avec une bureaucratie. Les mouvements sont prédéterminés. Vous êtes observé, enregistré, évalué, mais jamais vraiment vu. Il n’y a pas de spontanéité, seulement de la performance. Chaque pas doit suivre le protocole. Chaque geste doit être lisible. C’est une danse qui crée une distance - une chorégraphie qui sépare le danseur du public, le citoyen de l’institution. Vous jouez, mais vous ne vous connectez pas. Et pourtant, il faut continuer à bouger, car s’arrêter signifie se désynchroniser du système. Le rythme est étranger, mais vous l’apprenez pour survivre.
Mais il existe un autre type de danse. Celle qui éclate lorsque quelqu’un joue de la musique dans la rue et que des inconnus commencent à bouger. Cette danse n’a pas de scène, pas de chorégraphie, pas de public. Une danse qui n’appartient à personne et qui invite tout le monde. Ce type de danse ne peut être planifié. Elle n’est pas productive. Elle ne peut être vendue. C’est pour cette raison qu’elle est puissante. Elle est redoutée. Les systèmes de contrôle préfèrent l’ordre, la répétition, la permission. Ils craignent la danse qui ne suit pas les pas - celle qui rompt la formation, qui déborde dans l’espace public et ne demande pas d’approbation.
Cette exposition n’est pas une réponse. C’est un miroir. Elle nous montre la chorégraphie que nous exécutons chaque jour et nous demande si nous ne pourrions pas choisir un pas différent.
Thomas Broomé