EDEN Mauro Bordin
EDEN
Commissariat d’exposition : Pauline Lisowski et Alexandre Vaysse
Conçue comme un récit, un conte, en trois chapitres, l’exposition de Mauro Bordin nous plonge dans un espace hors du temps. D’une recherche d’un paradis perdu, une nouvelle ère s’annonce, réunissant la technologie, la végétation proliférante et de mystérieux animaux.
Chapitre I : Histoires naturelles revisitées À partir d’une relecture de certaines œuvres de l’histoire de l’art et d’un bestiaire issu d’une iconographie médiévale, Mauro Bordin invente de nouvelles histoires naturelles. Il compose des paysages où la biodiversité semble être à la fois merveilleuse et hostile. Ses œuvres picturales évoquent la résilience d’une nature dont nous faisons partie. Or, cet idéal d’une végétation foisonnante n’est peut-être bientôt plus que souvenir, si on oublie de la préserver. Cette nature fabuleuse et attirante incarne une certaine force, une capacité de s’adapter. Dans ses peintures, l’artiste privilégie un trait fin et des couleurs lumineuses pour créer ce monde enchanteur, propice à l’émerveillement. Chacun pourra y projeter ses propres désirs et y trouver refuge. Autour de sa toile Eden, qui réunit anémones, palmiers, végétaux de différents biotopes, animaux et scaphandriers, d’autres peintures présentent une densité de plantes et de champignons à la fois étonnants, curieux et suscitant une certaine crainte. Le monde que peint Mauro Bordin semble à la fois familier et étrange, autant fabuleux qu’inquiétant, entre rêve et réalité. S’ils paraissent séduisants, ces paysages denses en végétation, incitent à se poser des questions et annoncent une époque troublée, dans laquelle nous tentons de trouver un sens à nos actions. Ses toiles incitent également à voyager vers des contrées lointaines, en quête d’un certain exotisme. Or, cette recherche n’est-elle pas veine de sens ? Ne pouvons-nous pas retrouver un contact avec une nature plus proche de nous avant de vouloir s’aventurer plus loin ? Telles sont les questions qui émergent en prenant le temps de contempler les peintures de l’artiste.
Dans les toiles de la série Lost, ainsi que dans ses gouaches réalisées dans une gamme de gris, un homme, un voyageur, est comme perdu, endormi, solitaire, dans une nature qui le dépasse. Scaphandriers et animaux constituent des métaphores de cet être humain démuni face au devenir de la planète. Utopies, contre-utopies, les peintures de Mauro Bordin nous amènent à nous interroger sur les impacts de la technologie et de nos inventions sur la planète.
Chapitre II : D’une prise de conscience de notre propre condition à l’invention d’une nouvelle ère Teintées d’un certain humour, ses œuvres picturales révèlent la complexité du monde à l’ère de l’Anthropocène. Face à sa toile La danse macabre, un sentiment de trouble apparaît en nous. Que font ces quatre individus, mi-hommes mi-squelettes ? Leur danse suggère une tentative de survie dans un paysage mouvementé, témoignant d’une résistance malgré une tempête. Ce sujet issu de l’art médiéval, ainsi réinterprété, suscite une diversité d’interrogations sur la condition humaine. Les êtres hybrides, les chimères qui peuplent ses toiles invitent à imaginer une nouvelle période, « une Renaissance sauvage1 », expression empruntée à Guillaume Logé. Les végétaux auraient muté et produisent d’étranges fruits… Qui oserait alors les cueillir ? Ses peintures annoncent des évolutions à venir ou un retour à la découverte d’espèces. Les créatures présentes dans Le Livre des merveilles du monde de Marco Polo (XIIIe siècle) et l’iconographie de fruits et de plantes, nourrissent l’imaginaire de l’artiste. Des animaux, une végétation et d’autres êtres fabuleux apparaissent de façon récurrente dans ses toiles : références à des petits monstres des peintures médiévales. « Tour à tour extraordinaires, effrayants ou véritablement monstrueux au sens actuel du terme, ces monstres peuvent revêtir à nos yeux contemporains un aspect insolite et amusant2. » écrit Sabine Maffre. L’artiste invente un bestiaire fantastique avec beaucoup d’humour. Un récit se lit au fur et à mesure de la découverte de ses œuvres où il associe des espèces et des habitats différents.
1 Guillaume Logé, Renaissance sauvage, PUF, 2019. 2 Petits monstres, Fantastique Moyen-Age, Editions BNF. p. 4
Chapitre III : Cabinet de curiosités de nouvelles figures divines. Aux couleurs douces, ses petites toiles, composées d’images religieuses détournées, inspirent une certaine bienveillance. Mauro Bordin est attentif à l’évolution de notre société, en manque de repères. Il sème le trouble entre les genres et crée des divinités quelque peu déroutantes. Pourquoi continuer de croire ? De quelle manière ces images peuvent-elles nous aider à vivre et à surmonter les impasses dans lesquelles nous nous trouvons ? Telles sont les interrogations qui émergent face à ses peintures. Certains reconnaîtront des références dans les toiles de l’artiste, d’autres se laisseront porter par les histoires qu’ils y percevront. Les peintures de Mauro Bordin ouvrent des pistes de réflexion sur la possibilité de redécouvrir le monde, de mieux le connaître afin de prêter attention à la nature, dont nous faisons partie. Bien que fabuleuse, celle-ci nous rappelle que nous l’avons transformée. La part d’inconnu de ses œuvres, celle qui nous résiste, nous incite à garder nos yeux ouverts sur les enjeux de notre société. Ainsi, tel un passage d’un monde à un autre, de la vie à la mort jusqu’à une métamorphose, une mutation entre les espèces, cette exposition nous invite à prendre conscience de notre impact sur la nature. Durant ce moment suspendu, nous pouvons garder espoir, songer à une symbiose entre les êtres vivants… et poursuivre la connaissance de la biodiversité…
Pauline Lisowski
Avec le soutien aux expositions du CNAP Centre National des Arts Plastiques