ENTRE DEUX EAUX Raphaël Maman & Virginie Prokopowicz (création sonore de Jean-Yves Sellin)
Au numéro 10 de la rue Sisley, s’entrecroisent deux temps : celui de la « balade » et celui de l’évènement. C’est dans cet ancien refuge monacal que s’unissent en un duo artistique surprenant Virginie Prokopowicz et Raphaël Maman qui, à l’occasion d’Entre deux eaux, nous livrent une version minimaliste onirique éloquente de ce à quoi pourrait bien ressembler une scène impressionniste transposée à notre époque. S’emparant de ses codes : fluidité atmosphérique ; miroitement aqueux ; vibration lumineuse, il nous font pénétrer dans cet « entremonde » que nous percevons dès notre arrivée, distinguant au lointain les bruits tantôt retentissants, tantôt étouffés, d’une nature qui se dérobe sous nos pas… Sur un chemin de terre fraîchement creusé dans la masse gravillonnée épandue, nous progressons. Sinueux, il nous conduit aux abords des piliers médiévaux où trônent les câbles en acier sur lesquels Raphaël Maman a hissé ses voilages translucides aux motifs arborés – paradoxalement cimentés – de façon à laisser leur système de levage apparent.
Composé de cordages passants par de simples poulies, ce dispositif inscrit ces créations dans le prolongement de Planter le décor, installation réalisée aux Beaux-Arts de Paris en 2019, dans le cadre du DNAP de l’artiste, par le biais de laquelle il questionne l’incidence des normes sur la réalité. En résonance avec l’univers du théâtre, art de l’illusion à la puissance cathartique, sa réflexion l’oriente, entre autres, vers l’ouvrage Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre de Nicola Sabbattini, architecte et scénographe italien du XVIIe siècle. Guidé dans l’élaboration de son projet par cette lecture, il conçoit alors ses œuvres à la manière de décors amovibles autour desquels les spectateurs peuvent circuler sans restriction, voyant leur rôle se redéfinir en tant qu’acteurs complices du « metteur en scène ».
Partiellement figées, au bon vouloir du vent, ces « bâches » tirées, tendues en guise d’étendards, incarnent visuellement autant de paysages anthropisés que de plages de répit, synchrones à la composition sonore de Jean-Yves Sellin, constituée de « départs » et de périodes d’accalmie. Découvert en aval d’un étrange amoncellement de pierres, nous retenons aussi le cours fictif d’une rivière sur rails, imaginé par Virginie Prokopowicz, dont les reflets argentés, amplifiés par la réverbération solaire, se répercutent sur la rétine. Etablie à partir d’une carte topographique, cette sculpture monumentale aux inclinaisons brutalistes calque son parrallélisme sur celui du Loing, qui s’étire en contrebas de la berge où se situe Pont Loup. Allégorie de nos enfermements physiques / psychiques / idéologiques / politiques, elle se différencie du travail coutumier de la plasticienne par son double sens de lecture qui l’envisage, au choix, comme une énigme matérielle à résoudre ou comme une dynamique d’espoir, rythmée par les remous de la vie.
Au sein de ce microcosme à l’esthétique urbaine pré-post apocalypse, se décline ainsi, du gris au blanc, l’Impressionnisme qui, dépourvu de toute son innocence bucolique, fait à présent se recouper désolation de la nature et fragilité de l’être, ce que restitue d’ailleurs la captation du fond d’ambiance qui associe au son de l’eau qui coule, fuse, puis dévale, celui des tintements du verre et de ses brisures, à l’instar d’un glas. A tout hasard, nous nous tournons une dernière fois vers la verrière et les vitraux romans, ne sachant pas si ces derniers résisteront encore longtemps aux prémices de cette nouvelle ère, dont nous sommes les premiers représentants.
Chloé Macary pour Le Mur espace de création