Hans Seiler, paysages d'Espagne Hans Seiler

Voici donc l'Espagne de Seiler. Nous connaissions sa Bretagne, sa Normandie, sa Dordogne, sa Hollande, théâtres de lumières, de reflets, de perles, d'ambres et d'ombres. Les mêmes qualités, certes, se retrouvent ici, dans un registre nouveau, quand l'ocre sévère des plateaux se nuance de rose, ciel et terre accordés, quand d'un zénith de moires, le jour descend sur les fermes arêtes d'un sanctuaire, quand le trait bleu d'un lac éclaire un cirque de roches bises. Alors se déploie le jeu des modulations en quart ou en huitième de teintes, où l'on sait que Seiler est passé maître. Encore faudrait-il ne pas l'enfermer dans une réputation d'intimisme, quelque vertu qu'on reconnaisse à la discrétion et à la mesure, sous l'égide de bien saints patrons. N'aurait-on jamais pris garde aux flammes subites qui traversent ses motifs apparemment les plus tranquilles ? Le peintre des intérieurs harmonieux, des marines, des paysages aux lents échos ne serait-il que le dispensateur des félicités paisibles  à quoi l'on s'est peut-être habitué à le borner ?

Lorsque, dans telles autres de ses toiles ou de ses gouaches, un ciel de cendre, immense, pèse sur les vagues d'un sol infertile, lorsqu'un éclairage livide accuse ces reliefs désolés, ou qu'au-dessus des murailles tragiques de Tolède, s'ouvrent dans l'air quasi solide les déchirures d'un bleu de menace, ne pense-t-on pas plutôt aux nuées fuligineuses du Greco dans sa célèbre Vue de la même cité ?

Dès lors nous ne sommes plus dans l'Espagne romantique, ni dans on ne sait quel refuge pour vacances idéales, mais dans le pays de Guillén de Castro et de Lorca, la dure patrie du sacrifice et du chant profond où vivre a longtemps été, d'abord, une urgence, où vouloir et aimer ne sont qu'un même mot. La, vision de Seiler touchera les fervents de l'Espagne qui ont reflué de ses marges vers son centre, pour y rejoindre sa vérité en péril.

Jean Guichard-Meili