Laura Gozlan, Foulplay I, 2022
Film 4K, color, stereo sound, 6’17”
Courtesy de l'artiste & Galerie Valeria Cetraro, Paris
Exposition
Gratuit
Vidéo

The Hierarchy of Lows Laura Gozlan

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Vernissage
ven 20 mai 2022, 18:30

Les Bains-Douches
151 avenue de Courteille
61000 Alençon
France

Comment s'y rendre ?

Up is heavens, location of power, down is foul

«En haut les cieux, le siège du pouvoir, en bas la fange, les égouts» dit Mum, la protagoniste de Laura Gozlan, dans la scène d’introduction de Foulplay (2022), série de vidéos qui suit les « rencontres » que fait Mum. Si le pouvoir a son siège dans les cieux, que contiennent les égouts (the foul) ? La saleté, la puanteur, la crasse, la perte, le chagrin et enfin la mort ? Ou pourrait-il s’agir d’un lieu de purification et de résurrection ? Pouvons-nous considérer la souillure comme une puissante source de libération ? Les égouts peuvent-ils se transformer en lieu de liberté et de magie ?

 

 

Un souterrain voûté (la Cloaca Maxima) plein d’une eau grisâtre, aux parois embrumées sur lesquelles dansent des ombres, tel est le théâtre des opérations symboliques de Mum, qui inhale des substances et se masturbe régulièrement. On entend quelquefois sonner un smartphone intrusif. Mum décroche et parle à Byron (inconnu du spectateur) d’une voix murmurante, séductrice, quelquefois pressante. Elle porte une blouse pêche et de longs ongles, bien faits, couleur vert fumé. Ses cheveux sont gras, en bataille. Elle doit être entre deux âges. Son visage paraît vieux, fatigué, morne et graisseux. Qui est-elle ? Peut-être la Mum de Gozlan est-elle un personnage mythologique ou archétypal, vivant dans un monde post-apocalyptique – imagerie empruntée au genre de l’horreur et à l’esthétique de la science-fiction, que Gozlan mobilise volontiers. Au premier abord Mum paraît aimable et s’exprime d’une voix agréable et amicale ; il y a néanmoins chez elle quelque chose de suspect et d’importun. 

 

 

Son apparence plutôt grotesque pourrait être interprétée comme une forme de protestation contre la réalité filtrée et embellie que nous imposent aujourd’hui les réseaux sociaux. Mais on peut difficilement dire qu’elle s’oppose à quoi que ce soit ou plutôt, s’il ne s’agit pas en fait d’un acte d’obéissance – notamment à son corps et à ses impulsions. La masturbation, comme Gozlan essaie de le montrer, est une migration de la partie haute (tête, intelligence, connaissance, quel que soit le nom qu’on lui donne) vers la partie basse. C’est sans aucun doute une arme rendue aux femmes afin qu’elles libèrent leur plaisir, même hors d’un contexte sexuel. La masturbation permet d’entrer dans une forme de magie. La magie du corps. Une conception très répandue veut que la puissance magique découle de l’énergie sexuelle. Mais ici, il semble que ce ne soit pas tout à fait la question. La démarche de Gozlan tourne le dos aux influenceuses New Age qui éveillent leur puissance féminine (y compris sexuelle) en exhibant leurs modes de vie apprêtés ; il ne s’agit pas non plus de ces sorcières modernes autoproclamées qui se livrent à des rituels païens à la Burning Man *. Au contraire, concevons plutôt une magie complexe et qui proviendrait de l’horreur : la magie du soin, de la purification – parmi les déchets. Peut-être le terme otherworld (« autremonde »), inventé par Susan Greenwood, pourrait-il être pertinent. Ainsi Greenwood décrit-elle cet « autremonde » : « Une terre d’abondance […]. C’est à un soupir d’ici, c’est une rupture dans la conscience que de percevoir la vision globale, et les fils tissés à travers tout ce qui a jamais existé. C’est quelque chose de multidimensionnel, à un battement de cœur d’ici. »* L’œuvre de Gozlan est influencée par l’autrice féministe Starhawk, activiste militante féministe et anti-guerre depuis les années 1970. Étudiant les relations entre moi physique et moi spirituel, Starhawk s’intéresse aux femmes qui se connectent à la Terre et à tout ce qui est naturel. Dans l’œuvre de Gozlan, telle que nous la voyons, il pourrait s’agir d’une métaphore très directe : les égouts, le cloaque, la souillure, la saleté… L’artiste évoque Vénus Cloacina, déesse romaine de la crasse, de la purification et de l’assainissement, et qui règne sur les égouts. Les dieux de l’Antiquité sont parfois des entités conflictuelles – comme Mum. Comme aussi Baba Yaga, sorcière ambiguë qui accompagne la mort en même temps qu’elle fait office de gardienne de la nature (Terre-Mère, déesse chthonienne) et qu’on peut aussi considérer comme une mère phallique.

 

 

Assise dans une voiture, Mum se procure du plaisir, et alors qu’elle atteint l’orgasme, elle s’adresse à Byron :  « Est-ce que tu me demandes d’apaiser la crise sociale actuelle par les voies de la magie sexuelle ?» Suit un rire profond et cynique. Ce qui indique peut-être – je t’ai grugé tout du long ? Mum pourrait être un ogre qui dévore ses victimes au sens sexuel, ou la reine des Cloacina (du latin cloaca, canalisation, égout, et de cluo, nettoyer). L’un comme l’autre, observe Gozlan, ouvrent l’arche de la magie. 

 

 

Maija Rudovska