J'enseigne ce que je ne sais pas Exposition collective
Ces enseignes, dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux à l'aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi la Truie-qui-file, le Singe-vert, etc., furent des animaux en cage dont l’adresse émerveillait les passants... » Ainsi s'exprime Balzac dans la Maison du Chat-qui-pelote (1829). Les progrès de la sottise positiviste, déjà décelables à cette époque, n'ont fait que s'étendre depuis au point de nous masquer presque complètement ce mystère tapageur : l'enseigne.
Tout au plus quelques occultistes se sont-ils souciés de souligner la signification hermétique de certaines d'entre elles, les plus simples se fondant sur un calembour publicitaire (Au Lion d'or ; Bonaparte manchot ; l'affiche Singer) qui se traduit cependant par un désaccord apparent centre la chose promise et ce qui la signifie.
Certes, les Joseph-Prudhomme n'en désarment pas pour autant. « Il y a plus de prodige dans un moulin à café que dans tous les séraphins du ciel », affirme l'un d'eux, démarquant très bassement un certain Marinetti qui fit du bruit vers 1909 en parlant tout de même, lui, d'une automobile de course. Mais en manière d'enseigne comme ailleurs, le marchand de choux-fleurs tient à montrer ses choux-fleurs peints, sculptés, photo-reportés ou atomisés, peu importe pourvu qu'on reconnaisse ses choux-fleurs. Il y a donc des gens qui aiment vraiment les choux-fleurs?
Oui, ceux qui les vendent. Bref, j'aimerais savoir ce qu'entendaient vendre à leurs clients les innombrables aubergistes je les entends chanter d'ici qui exerçaient à l'enseigne célèbre du Cheval blanc (hippophagie?) ou à celle, à peine moins répandue, de l'Homme sauvage (anthropophagie ?) ou encore à celle, plus rare tout de même, intitulée A la Mort (Bulle, canton de Freiburg, 1838) ? Mais laissons-la ces graves d’ethnographie européenne.
Parlons plutôt de l’enseigne au néon qui naît à l’art contemporain en février 1912 pour célébrer l'entrée des Futuristes à la galerie Bernheim Jeune. Ou de ce tableau-enseigne pour la bibliothèque de Catherine Dreier que Marcel Duchamp, en 1918, intitule : Tu m’, Tu m’ : c'est le dialogue à son commencement, et à sa fin.
Mais c'est aussi l'enseigne des préoccupations de Duchamp, qui se manifestent autant par ce qui est dit que par ce qui est tu. Nous voici loin à coup sûr de l'effort militant des pompiers pour écraser sous leurs talons toute pensée vivante et créatrice. qui se joue entre l’affirmation et la négation sous peine de sombrer dans le conformisme. Inlassable effort qui prit cette année les dehors du
Salon de la Jeune Peinture et, grâce à la complicité inconsciente de cinq ou six artistes véritables, put laisser croire qu’à l'auberge des Rossinantes l'on avait enfin dompté la cavale de l’Art moderne.
Mais l'enseigne refleurit! De Toyen rêvant il y a quinze ans de la rue des Alchimistes, à Prague (4 la roue d'or, etc.), aux enseignes sournoises » de Silbermann (1963), du Little Giant de Suart Davis (1950), au Canyon de Rauschenberg (1959) ou au Field Painting de Jasper Johns (1963), de Martial Rayase à Gilli et d'Adzak à Del Pezzo, ou d'Arnal, Télémaque, les enseignes refleurissent. Et que nous enseignent donc ces peintures-peintures, ces peintures-objets, ces constructions, ces découpages, ces oeuvres ni-chair-ni-poisson, mi-figue mi-raisin ? Avec de troubles coquetteries ou des claques brutales, elles disent toutes, chacune à sa manière : J'ENSEIGNE CE QUE JE NE SAIS PAS.
Une exposition avec : Adzak, Adami, Alleyn, Arnal, Del Pezzo, Claude Gilli, Peter Klasen, Lagarde, Niki de Saint-Phalle, Martial Raysse, Jean-Claude Silbermann, Daniel Smerck, Hervé Télémaque, Toyen.