Nancy Graves à la Galerie Ceysson & Bénétière
Nancy Graves, Areol, P-78.010,1978, Huile et encaustique sur toile, 162.56 x 223.52 cm © Ceysson & Bénétière, Photo : Adam Reich
Exposition
Gratuit

Nancy Graves

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Galerie Ceysson & Bénétière
23 rue du Renard
75004 Paris
France

Comment s'y rendre ?

Du 21 mars au 11 mai 2024, la galerie Ceysson & Bénétière présente dans son espace parisien une exposition de la peintre, sculptrice et réalisatrice américaine Nancy Graves.

 

Dans la célèbre évocation qu’il fait de l'ange de l'histoire dans Sur le concept de l’histoire(9ème concept), Walter Benjamin se réfère à un tableau de Paul Klee intitulé "Angelus Novus", qu'il interprète comme un ange se dirigeant vers l'avenir tout en regardant les débris du passé, une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Dans son cinquième concept, Benjamin décrit le passé comme une une image qui surgit et s’évanouit pour toujours au moment où elle s’offre à la connaissance. Et dans le sixième, il précise que faire œuvre d’historien ne signifie pas "savoir comment les choses se sont réellement passées" (Ranke). Cela signifie s'emparer d'un souvenir tel qu’il surgit à l’instant du danger.

Les peintures de Nancy Graves comme ses déclarations artistiques témoignent d'une préoccupation similaire pour les vestiges du passé et la manière dont ses images fournissent au présent les documents d'une civilisation à reconnaître. Le même principe s'applique aux vestiges de son art - qu'elle appelle des éclats d'art - et à l'art des civilisations passées, qu'elle collecte soigneusement sous la forme de documents photographiques, de matériel d'archives et de dessins de recherche. De nombreux dossiers et archives de la Fondation Nancy Graves témoignent de son habitude de collecter des images et des objets d'art préhistorique, en particulier des dessins rupestres géométriques et symboliques des quatre coins du monde. On y trouve également beaucoup de documents relatifs à des images tirées d'observations scientifiques de l'espace - planètes, lune et terre – prises par satellites, télescopes ou autres outils de mesure, que Graves observait avec attention et utilisait avec habileté à des fins poétiques.

 

La pratique de la citation visuelle - qu'il s'agisse d'images trouvées ou de son travail, permettant un processus d'auto-référencement - met au jour une constante méthodologique dans son travail, à savoir la répétition et la variabilité. Une autre constante de son travail est l’usage d'images cartographiques comme outils conceptuels lui permettant de combiner abstraction et figuration à l’intérieur d’une image stratifiée aux allures de palimpseste. À propos des références visuelles de ces peintures réalisées à partir de cartes, Nancy Graves a déclaré : Ce ne sont pas les images de quelqu'un d'autre; elles sont réalisées par des machines. [...] Elles sont issues de la collectivisation de la culture. [...] Elles appartiennent à tout le monde. [...] Elles sont générées par des ordinateurs. [...] Par des systèmes que nous avons mis en place ; elles ne proviennent pas de leur objet. [...] Il s’agit d’abstraction

 

Cette qualité impersonnelle et non-subjective du matériel de référence, le fait qu'il n’adopte pas de perspective humaine, nous est incontestablement très familier à l'ère du GPS, de Google Maps et des images de plus en plus sophistiquées que les télescopes numériques transmettent depuis l'extérieur de notre système solaire, dans leur quête pour documenter l'histoire de l'univers. Mais cela était tout à fait étrange et unique à l'époque où Nancy Graves réalisa ces tableaux, tous pareillement dépourvus d'horizon et basés sur une association de motifs géométriques rappelant des coordonnées géographiques et des formes colorées évoquant des symboles archaïques et des interprétations technologiques de terrain. Ces images à l’esthétique hybride étaient étrangement prémonitoires de notre ère de l'intelligence artificielle et des images générées par des machines. Nancy Graves était fascinée par les images invisibles à l'œil humain : On ne peut pas voir à 300 km dans l'espace. Il faut une machine avec une lentille capable d'enregistrer, ce qui est en soi incroyable.

 

À travers sa fascination pour les technologies et la data, Nancy Graves exprime une capacité à l’émerveillement qui est le trait d’union entre philosophie, poésie, art et science, une sensibilité commune qui précède l'ère moderne et sa spécialisation. Toutes ces disciplines sont animées d’une quête de la nouveauté - la création de nouveaux mondes. C'est aussi le sens et la finalité de l'art selon Gilles Deleuze, un philosophe qui a théorisé le concept de répétition comme activité créatrice de transformation, qui s’applique particulièrement bien à l'œuvre de Nancy Graves. [...]

 

Simonetta Moro