PERSPECTIVES RADICALES Exposition collective
Qu’est-ce que la photographie ? C’est de cette question, simple de prime abord et à laquelle tout un chacun semble avoir une réponse toute trouvée, que nous sommes partis pour construire cette exposition collective d’envergure. Dix artistes, hommes et femmes de tous horizons, qui par leur pratique et les pièces qu’ils et elles produisent, tordent le cou aux idées préconçues que l’on pourrait avoir de la photographie.
Comment définir une œuvre photographique lorsque l’artiste, comme l’écrivait Marc Lenot, « n’utilise pas d’appareil photo, n’utilise pas d’objectif, ne fait pas d’images de paysage ou de portraits, ne considère pas la photographie comme une représentation du monde et ne se soumet pas aux règles de l’appareil photographique ». Le ton est donc donné pour cette nouvelle exposition manifeste et hautement représentative de cette ligne qui caractérise la galerie, l’art contemporain photosensible !
Une quinzaine de pièces, toutes aussi singulières les unes que les autres viennent en effet remettre en cause la définition communément acceptée de ce qu’est une photographie, la photographie. Dans les œuvres présentées, les artistes, invité(e)s ou représenté(e)s par la galerie, emmènent la photographie là où on ne l’attend pas, la pousse dans ses retranchements.
Là où l’artiste américaine Alison Rossiter remet en question la prise de vue, en se penchant sur la richesse des papiers photosensibles, allant jusqu’à dénicher et révéler des papiers de plus d’un siècle, l’artiste iranienne Morvarid K tente plutôt de désacraliser le tirage en recouvrant presque intégralement ses épreuves de petits traits réalisés au stylo, ou en en faisant se vêtir une danseuse, à même le corps, comme pour leur re-donner vie. Le papier photographique est alors paradoxalement sublimé et l’acte physique du tirage, traditionnellement voué à la chambre noire, y est déporté ou prolongé au-delà de ses murs.
La définition communément acceptée de la photographie, depuis Nicephore Niepce, implique la fixation de l’image. Choisir de ne pas fixer ses tirages comme le fait la jeune artiste italienne Vittoria Gerardi, c’est se pencher sur la nature même de la photographie, la lumière et le temps, et explorer la frontière entre les éléments visibles et invisibles d’une photographie.
Mais dans cette exposition il est aussi question d’expérimenter ces éléments qui constituent le langage photographique, ses lois et ses variations structurelles. Les images de l’artiste slovène Aleksandra Vajd, des tirages dénuées d’image justement, renversent nos certitudes les plus profondes sur la photographie. Elles explorent les frontières du médium photographique pour se concentrer sur la matérialité de la lumière. Certaines œuvres, comme celle de l’artiste portugais Fernando Marante, explorent les effets du temps dans la construction de l’image photographique. Les images deviennent alors des schémas d’intentions, des empreintes visuelles de toutes les décisions prises au cours du processus photographique.
Que dire par ailleurs de ce lien qui unit naturellement photographie et technologie. Si le médium tend à évoluer par, et avec, le progrès technique, il est intéressant de questionner l’histoire des images et leur processus de création, et de présenter une photographie allant à contre-courant de ce fameux progrès technique. Et c’est précisément l’objet de cette grande pièce de Lionel-Bayol-Thémines qui nous montre la Terre et sa Lune au niveau du seul pixel.
À l’inverse, la sculpture de lumière de Thomas Paquet embrasse littéralement les nouvelles technologies, et transforme un travail d’étude photographique autour de ses caractéristiques fondamentales que sont la lumière, l’espace et le temps, en une œuvre numérique qui sera même disponible au format NFT dès le 13 avril prochain sur la plateforme Danae.io.
Une photographie dématérialisée, dénaturée, décomposée, déstructurée jusqu’à porter le regard sur sa définition la plus littérale comme le fait Vincent Ballard avec son diptyque éloquent. Et des volumes photographiques aussi. Des sculptures comme une suite logique, naturelle, indissociables des tirages d’où elles puisent leur origine à l’instar de ces pièces de Yannig Hedel réalisées il y a plus de 20 ans. Ou bien encore la sculpture murale convexe signée Anne-Camille Allueva interrogeant le visiteur sur l’image éphémère, son reflet, et posant une question fondamentale : la photographie existerait-elle si son invention n’avait pas eu lieu ?
Une exposition qui bouscule nos certitudes, interroge et défie tant les visiteurs que la photographie elle-même.