« Revenge Dress » Renske Linders
À quelques pas du Palais de Tokyo, dans un quartier où les galeries d’art contemporain se font encore rares, la Galerie d’Eylau présente des artistes encore émergents, exclusivement en solo show. Du 28 mars au 11 mai, la Galerie d’Eylau présente une exposition de l’artiste néerlandaise et résidente à POUSH, Renske Linders. Dans Revenge Dress, Renske Linders explore les symboles de la féminité par des détails évocateurs. Une collection d’images dont la force narrrative invite à s’émanciper du mythe qu’elles incarnent.
« Le bout d’un escarpin pointe une direction inconnue sur le plancher en bois massif. Les orteils sont sagement ordonnés dans le soulier vernis, d’un rouge grenat. Le cadrage serré à la rigueur quasi photographique et le format exagéré de l’objet confèrent à l’ensemble une impression de douce étrangeté. L’escarpin nous domine, presque menaçant. Dans cette oeuvre intitulée The Shoe, Renske Linders offre une vision saisissante de l’objet ordinaire, transformant un accessoire féminin iconique en une énigme visuelle.
Avec son style proche de l’hyperréalisme, l’artiste s’attache à reproduire des objets du vestiaire féminin ainsi que des moments de vie, vécus ou symboliques, explorant la manière dont les femmes sont conditionnées dans leurs rôles sociaux. Dans ses oeuvres où le visage est absent, elle transforme les sujets en fragments évocateurs qui attisent l’imaginaire. A la fois chacune d’entre nous et personne, les héroïnes s’effacent et d’elles, ne subsistent que des attributs, des attitudes. Chaque détail minutieusement représenté est chargé de sens, offrant aux oeuvres une valeur narrative qui invite à l’introspection.
Dans l’enchevêtrement des oeuvres présentées au sein de l’exposition Revenge Dress, une intrigue sourde se trame. Celle-ci offre une plongée dans les méandres de la condition féminine, explorant les injonctions de la mode et de la beauté qui enserrent les femmes dans le rôle d’objets de fantasme. Renske Linders exhume les mythes, puise dans sa propre expérience – notamment sa carrière de mannequin – et celles des femmes de sa vie – ses amies, ses grand-mères – pour dénoncer les diktats d’une société obsédée par la perfection illusoire. On pourrait noter ici une allusion aux travaux de Mona Chollet, notamment son ouvrage éclairant Beauté Fatale (2012) qui dissèque le culte de la minceur, de l’idéal esthétique, de la blancheur et de la jeunesse. Dans Taille XXS, l’artiste nous invite à déguster un plat de spaghettis, parsemé de pilules multicolores avec la promesse que ces comprimés magiques nous feront perdre plus d’un tour de taille. « Une aubaine ! » raille Renske, évoquant le comportement parfois aveugle des consommateur·ice·s de remèdes miracles qui inondent la publicité et les réseaux sociaux.
Ses oeuvres, empreintes d’ironie et parfois d’absurdité, interrogent : comment subvertir ces codes ? L’artiste répond par un gros plan d’un bain de soleil en bord de mer : tattoo fleuri, bikini léopard et tanga à paillette. Car pour autant, elle n’a pas pour vocation de faire le procès des normes établies. La force de ses oeuvres est de ne pas rejeter cette culture féminine, mais plutôt son usage et de montrer comment cette dernière peut être utilisée au contraire comme facilitatrice de l’émancipation des femmes. À l’instar de la célèbre « Revenge dress » arborée par Lady Diana en 1994 à la suite de sa rupture avec le Prince Charles, Renske Linders célèbre la femme libre, indépendante. Dans ses oeuvres, la lumière inonde de sa chaleur dorée, évoquant le crépuscule d’une ère révolue. C’est dans cette lueur enveloppante que s’expriment des messages empreints de résilience et d’affirmation de soi. Ils résonnent comme autant de cris de révolte et d’espoir pour un avenir où la femme retrouve pleinement sa voix et sa place dans le monde. »
Léna Peyrard