
Stephané Edith Conradie Stephané Edith Conradie
La galerie Ceysson & Bénétière est heureuse de présenter les œuvres récentes de l’artiste Stephané Edith Conradie, réalisées ce printemps lors de sa résidence à La Chaulme. Son oeuvre interroge la manière dont l’identité se construit dans la sphère domestique, dans un contexte entremêlant les héritages du colonialisme et de la créolisation.
Grandissant dans un pays dont elle n’a pas la culture, Stephané Edith Conradie inscrit ses réflexions identitaires au cœur de sa pratique artistique. Elle en dit : « I am of the place but not entirely indigenous to the land. (…) My bundles or assemblages will aim to reflect on the idea of being simultaneously alien and indigenous to a place. ». Elle se reconnaît dans la descendance des Rehoboth Basters qui quittent la colonie du Cap en 1868 pour s’installer en actuelle Namibie. Sa présence dans ce pays est donc le fruit de déplacements historiques, la rendant ni étrangère, ni autochtone. Dès lors, le concept de foyer apparaît comme un espace fictif que l’on s’approprie par besoin d’appartenance, une zone mouvante et instable en proie à des forces historiques et politiques. Pour l’artiste, la domesticité se construit à travers les petits objets accessibles et mobiles que les classes populaires accumulent souvent pour décorer leurs intérieurs, pouvant être emportés lorsqu’on est contraints de partir. Conradie les intègre dans ses assemblages, juxtaposant bibelots en porcelaine, figurines et ornements de pacotille. Collectés dans des marchés de seconde main ou des intérieurs oubliés, ces petits trésors populaires témoignent d’histoires intimes et collectives. Leur valeur n’est pas monétaire, mais affective. Ils consolent, rassemblent, apaisent. Véritable archéologue de l’intime, Conradie insuffle une nouvelle vie à ces fragments de mémoire éparpillés, les réassemblant et les accumulant, doublant le kitsch apparent d’une forte portée symbolique.
Ce principe prend une nouvelle résonance dans l’usage récent, par l’artiste, du verre à l’uranium, dont la luminescence sous lumière UV évoque une lueur surnaturelle.
Inoffensif sous cette forme, ce matériau contient des traces d’un minerai hautement toxique, extrait en profondeur — notamment en Namibie, qui en assure à lui seul 6 % de la production mondiale. Minéral extraterrestre né d’une supernova, devenu source d’énergie ou de destruction, il est ici ramené à l’échelle intime, décorative, presque innocente. Mais ce verre lumineux porte une histoire de dépossession. En Namibie, comme ailleurs, l’extraction d’uranium est entre les mains de puissances étrangères et ne profite pas aux populations locales. Elle ravive l’héritage colonial du pillage des ressources africaines, sans compensation. L’uranium devient dès lors une matière hantée : celle d’un fantôme colonial, d’une violence invisible, toujours à l’œuvre. Vecteur d’une mémoire trouble, son travail prolonge une interrogation sur l’appropriation, les circulations coloniales, et les formes silencieuses de dépossession, en s’inscrivant dans une réflexion plus vaste menée par l’artiste sur la création d’une esthétique créole.