(Un)Systemized 11 juin 2025 – 30 juin 2025 Vernissage le mercredi 11 juin à partir de 18h Artistes: Liu Guangli & Wu Huimin | Thomas Garnier | So Kanno Curatrice: Paula Zeng
So Kanno, Lasermice dyad, Insallation, 2020. ©So Kanno. Photo by Cai sten Beier
Exposition
Gratuit
Installation
Vidéo

(Un)Systemized Liu Guangli & Wu Huimin | Thomas Garnier | So Kanno

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Vernissage
mer 11 juin 2025, 18:00

espacetemps
98 rue Quincampoix, 75003 Paris
75003 Paris
France

Comment s'y rendre ?

         L’horizon vacille. L’orientation est devenue désorientation.
         — Hito Steyerl, In Free Fall: A Thought Experiment on Vertical Perspective*
 

espace temps présente : (Un)Systemized, exposition collective du 11 au 30 juin 2025, réunissant les œuvres récentes de quatre artistes : les deux artistes chinois Liu Guangli et Wu Huimin, basé à France, l’artiste français Thomas Garnier, et l’artiste japonais So Kanno, basé à Berlin.
 

Dans un monde régi par les algorithmes et l’automatisation, la systématisation agit comme un pouvoir invisible — fluide, tentaculaire, omniprésent. (Un)Systemized interroge cette tension entre contrôle et déraillement, entre organisation apparente et désordre latent. À l’intérieur de cet équilibre instable, faire sens devient un acte ambigu : entre raisonnement analytique et projections sensibles, l’interprétation elle-même devient outil de transformation du réel. Face à l’émergence de nouveaux systèmes dits « intelligents » qui interfacent notre perception de l’information, et par conséquent celle du monde, les structures forgées par l’humanité, qu’elles soient politiques, technologiques ou symboliques, vacillent, mutent ou s’effondrent. Dans ce temps comprimé où le passé, le présent et le futur se confondent, où le naturel et l’artificiel se superposent, nos repères s’étiolent. Qui sommes-nous dans ce monde où les seuils s’effacent ?
 

Les quatre artistes de cette exposition œuvrent à la croisée de plusieurs disciplines, intégrant l’intelligence artificielle, l’impression 3D, la programmation robotique. Leurs propositions explorent, avec des langages plastiques variés, les tensions contemporaines liées à la perception, au pouvoir et à la technologie. Chaque œuvre devient ainsi un capteur de l’invisible, une forme d’alerte ou de rituel dans un monde en mutation.
 

L’exposition s’ouvre sur Seeing Silence (2025), une installation vidéo de Liu Guangli et Wu Huimin, à partir d’un examen de l’évolution des infrastructures énergétiques, croisant les récits techniques à la poésie visuelle des explosions au ralenti. On y observe la lente autodestruction d’objets électroniques : disjoncteurs, circuits, câblages — témoins d’un monde saturé par ses propres dispositifs. L’image, étirée image par image, engendre une esthétique de la ruine : une archéologie inversée où les cendres dessinent l’amorce d’un futur incertain. Entre les composants pulvérisés, surgit l’idée d’un sol en gestation, d’un désordre fertile. Cette destruction devient acte de résistance, refus d’un système de contrôle opaque.
 

Dans un dialogue silencieux, les œuvres sculpturales de Thomas Garnier prolongent cette réflexion sur la ruine et la mutation. Ses architectures imaginaires, dérivées de formes classiques ou industrielles, se présentent comme des vestiges d’un monde parallèle. Dans Exuviae I-III, la colonne effondrée devient icône d’un temps aboli : sa surface est érodée artificiellement, révélant en son cœur une structure filaire, légère, presque numérique — squelette fragile d’un monde révolu ou à venir. Dans Liminiarium(alpha), un dispositif mécanique met en mouvement une suite d’arches imprimées en 3D, en perpétuelle reconfiguration. Le passage devient seuil mouvant, paysage d’un éternel recommencement.
 

Dans l’espace souterrain, l’installation Augures (Forest) de Thomas Garnier déploie une forêt suspendue, lente et spectrale. Sur des rails motorisés, des sources lumineuses traversent des bas-reliefs imprimés en résine, inspirés des lithophanies translucides du XIXe siècle. Les images générées par intelligence artificielle — paysages, architectures, données — apparaissent et disparaissent selon l’angle et l’intensité de la lumière. Comme dans la grotte de Lascaux, le regard est conditionné par le feu, ici remplacé par le déplacement mécanique d’une lumière froide. Les structures de vie artificielle — serveurs, câbles, centres de données — y deviennent des lianes d’un nouveau monde, post-humain et rituel. L’humain s’y tient à genoux, en prière, devant des dieux technologiques silencieux.
 

Dans ce théâtre d’ombres, les ruines ne sont plus mortes : elles respirent à travers les gestes de la machine, rejouent à l’infini la mémoire d’un monde qui hésite entre mythe et mémoire vive.
 

Résonnant dans les espaces, Chirping Machines de So Kanno, les systèmes de communication naturelle, tels que les chants d’oiseaux et les coassements de grenouilles, deviennent matières premières pour un langage recréé par la machine. Par la programmation algorithmique, l’artiste génère un nouvel écosystème sonore où les animaux semblent dialoguer, écouter et moduler leurs appels selon une logique qui est conçue par l’humain. Cette œuvre hybride évoque les rituels ancestraux de communication avec le vivant, de la culture de la chasse, Toribue japonais aux chants chamaniques. Ici, c’est la machine qui orchestre, sans remplacer la nature, mais en lui proposant un masque. Entre hyperréalité et fiction sonore, cette œuvre interroge la possibilité d’un langage commun ou sa perte définitive.
 

Dans How to Imagine the Unimaginable (2024), réalisée en collaboration avec Chen Zirui, , s’appuie sur une narration intime issue de la restauration des dessins d’enfance représentant des dinosaures, vestiges d’un imaginaire forgé avant même l’accès au langage. En les hybridant avec des images générées par intelligence artificielle, inspirées des premières reconstitutions paléontologiques et des représentations médiatiques, ils reconfigurent la mémoire visuelle d’un passé fantasmé. L’œuvre oscille entre restitution et invention, entre réparation et dérive. En confrontant l’innocence du geste enfantin à la froideur générative des algorithmes, le duo interroge ce que l’on transmet et ce que l’on perd dans le passage d’un imaginaire analogique à un imaginaire machinique. La fiction devient un lieu de survie, un langage spéculatif pour habiter les failles du réel.
 

L’exposition se termine avec Lasermice Dyad (2020), une installation interactive de So Kanno. Dans l’obscurité, un essaim de souris robotiques parcourt l’espace, animé par des moteurs vibrants et des électroaimants qui modulent l’environnement selon une logique de chaos organisé. Initialement inspirée par la synchronisation silencieuse des lucioles, l’œuvre rend visible une communication invisible. Des faisceaux laser se croisent, les couleurs changent, les rythmes battent. Les échos des moteurs et les scintillements de lumière se rejoignent, immergeant le spectateur dans une tension fluide entre ordre et désordre. Nous sommes attirés par les systèmes de communication et les phénomènes du monde animal, tels que les chœurs de grenouilles, les chants de criquets ou les vols d’oiseaux. L’installation cherche à inventer un nouveau système de langage à travers un algorithme original. Sa chorégraphie minimaliste devient une métaphore du comportement collectif, évoquant les émeutes, la contagion, ou les vagues émotionnelles. Elle pointe vers la complexité fragile des systèmes, où le moindre changement peut entraîner un effondrement en cascade.
 

Ici, le mouvement devient une trace écrite, et le désordre se transforme en code.

 

Texte par Paula Zeng

 

*“The horizon quivers. Orientation has become disorientation.”
Hito Steyerl, In Free Fall: A Thought Experiment on Vertical Perspective, e-flux journal no. 24 (2011).