Wipe yours cheeks Nicolas Momein
La pratique artistique de Nicolas Momein se déploie souvent à partir de l'étude d'objets et de matériaux triviaux et fonctionnels - du matériel agricole pour ferrer des vaches à la pantoufle, des serviettes de bain en coton aux canapés de salon, en passant par des matières diverses : pierre de sel, savon, cuir, laine de roche, etc - et se développe à travers un repérage de gestes et de techniques issus de l’industrie ou de l’artisanat. Cette démarche presque anthropologique est associée à des apprentissages sans cesse renouvelés car il faut à l'artiste comprendre et reprendre ces gestes, réutiliser ces machines, collaborer avec des ouvriers ou des artisans, bref se mettre dans la position de faire, de défaire ou de refaçonner ces objets et matériaux. Nicolas Momein réinvestit plastiquement et librement une large palette de techniques et de savoir-faire, en les déviant de leurs finalités initiales. C’est ainsi que pour l’élaboration de sa récente série « Peau à peau », initiée 2022 lors d’une résidence en partenariat avec une usine de traitement et d’anoblissement des cuirs et des peaux, l’artiste explore les propriétés et les potentialités picturales des feuilles d’aluminium pigmenté, destinées au contre-collage industriel. Ces feuilles, recouvertes d’une pellicule de pigment métallique coloré, sont utilisées par l’industrie du cuir pour transférer et fixer des couleurs brillantes sur des supports enduits, par apposition thermique.
Nicolas Momein s’empare de ce matériau de traitement et d’ornementation des surfaces des productions manufacturées en en modifiant le processus d’estampage mécanique. Ainsi, opérant à froid, par pression directe des feuilles pigmentées déposées sur des surfaces de toile ou de vinyle, il transfère à l’aveugle ses tracés manuels, dirigés mais non programmés. Les œuvres hautement colorées se déclinent comme des improvisations, composées de la variation rythmée de gestes, entre abstraction ornementale et figuration primitive, écriture sismographique et aplats picturaux. Alors que ces étranges paysages baroques et flamboyants donnent à voir une stratigraphie de traces accumulées en couches, ils relèvent pourtant d’une structure pelliculaire sans épaisseur. En effet, le procédé technique empêche la superposition des applications : chaque report ou « Transfert » de matière colorée est donc définitif et ne peut être ni retiré, ni recouvert. Et si ces pièces ressemblent à des peintures, elles sont en réalité structurées comme de la marqueterie de petites peaux (pellicules) de pigments métallisés qui s’ajustent parfaitement en une surface, sur leur support. Mais ces pellicules se plissent, marquent, semblent parfois même martelées et de manière ambiguë, gagnent en épaisseur... telles des peaux tannées, voire scarifiées ou des matrices métalliques industrielles estampées discrètement des motifs de l’ornement textile.
Cette série s'inscrit dans la poursuite de ses recherches lors d’un partenariat organisé par le centre d'art le Lait à Graulhet où Nicolas Momein a commencé à travailler avec l'usine "Eureka" spécialisée dans l’amincissement et l'anoblissement des cuirs et des peaux et c'est poursuivie au mois de janvier 2024 durant une résidence artistique à Las Cicadas à Ibiza. De la lacération au geste délicat, les œuvres explorent la relation intime entre le support et le médium. C'est ce langage hybridé, entre technique et extrapolation poétique, que Momein propose d’interroger à travers cette nouvelle série produite entre l'usine et l’atelier pour sa prochaine exposition chez Ceysson & Bénétière en Avril.