Nous avons tous admiré les bustes des empereurs romains au sommet de leur gloire, sculptés dans le marbre blanc, ou les versions célèbres du buste de Napoléon ou plus récemment les bustes de la Marianne incarnant la République… Toutes ces sculptures sont là pour nous imposer une image précise - de l’individu ou du symbole qu’il représente - qui est supposée s’imprimer dans notre imaginaire. On a l’habitude de parler de « buste » en sculpture et de « portrait » en peinture.
Daria Gamasaragan a sculpté beaucoup de portraits et peu de bustes. Ce sont les portraits des gens qu’elle a connus, avec lesquels elle avait établi des liens d’amitié, des figures familières, celle de sa mère ou de sa cousine, de son époux, d’elle-même, des gens qu’elle a croisé à Alexandrie. Il y a aussi des poètes, des écrivains, des hommes politiques, jeunes ou vieux, femmes ou hommes, un bébé, des jeunes filles. Elle a travaillé aussi à partir de photos. En regardant la galerie de ces portraits, par la magie des images numérisées sur la toile, vous pourrez observer longuement ces visages de près et vous imaginer ce que ces gens ressentaient, quel était leur personnalité, quel pouvait être le lien qui s’était tissé avec la sculptrice. En les regardant, vous ressentirez l’émotion que la sculptrice avait ressenti elle-même en recréant ces visages au bout de ses doigts. On apprend aussi à lire sur les visages de nos proches et à mieux les comprendre.
Ce dossier est structuré en plusieurs sections :
- Premiers portraits modelés
- Têtes sculptées
- Daria et Imre
- Portraits identifiés
- Portraits de femmes
- Portraits d’hommes
Dès 1926, au Salon des Tuileries, à Paris, alors qu’elle a débuté sa formation avec A. Bourdelle, Daria Gamsaragan expose une « Tête de soudanais ».
Dans le catalogue de l’exposition à la Galerie La Boétie, à Paris, en 1950, il est fait mention de plusieurs « Têtes » en bronze, de « Tête en marbre à taille directe », du portrait de S.K. (Sirvart K.) en bronze, du portrait d’Andrée Jabès en plâtre, des portraits de Riquette Lefèvre (1929), d’Illonka (1929), de Consuelo, de Mirka, d’une Aixoise. On peut supposer que certains portraits montrés aujourd’hui dans ce dossier faisaient partie de cette exposition et donc ont été sculptés, moulés ou fondus entre 1929 et 1950.
Dans l’exposition collective au Musée Bourdelle en 1964, on voit une autre liste de portraits sculptés par Daria Gamsaragan représentant des personnalités connues qui, en fait, sont toutes masculines. Certains portraits sont présents dans la collection qui nous est parvenue.
Daria Gamsaragan prenait des cours de dessin chez Constant à Alexandrie. Elle a souvent raconté les circonstances dans lesquelles elle avait commencé à sculpter pour la première fois.
Dans ses mémoires « La rivière verte » elle raconte :
« Un jour… après déjeuner je suis passée chez Constant pour dessiner. On pouvait aller chez eux à n’importe quel moment de la journée pour travailler seul, en dehors de heures de cours. Au fond de l’atelier, les chevalets avaient été déplacés. Ils étaient remplacés par une sorte de trépied sur lequel se trouvait quelque chose qui ressemblait à une masse de boue. M’ayant entendu rentrer, Constant sortit de sa chambre, tout ensommeillé. Intriguée, je lui demandai ce qu’était ce meuble curieux que je n’avais jamais vu auparavant. Une selle pour sculpture, me dit-il. Ida [l’épouse de Constant] avait l’intention de faire un buste (Ida avait été sculpteur. Elle avait renoncé à sa vocation pour se dévouer à sa famille). … Je tournai rêveusement autour de la selle…. Je lui demandai timidement si je pouvais toucher la boule d’argile. Ce n’est pas de l’argile, dit Constant, c’est de la plastiline…. On dirait que tu as envie de faire de la sculpture ? Ah oui, je veux, dis-je avec enthousiasme, mais comment fait-on ? Attends, on va appeler un des types …dans la rue… Il me fit encore une dernière recommandation : regarde bien tous les plans de ce visage et construis ta sculpture d’après eux, n’oublie jamais que toute sculpture est une construction. C’est comme l’architecture. Au bout d’une heure, lorsque Constant réapparut, ma tête était terminée… Tournant autour de mon travail avec une visible satisfaction, il ajouta : Ecoute tu es née sculpteur. Lâche tout et donne toi entièrement à la sculpture…
Je faisais portrait sur portrait, la ressemblance que je captais très vite les étonnait ».
Cinq portraits modelés par Daria Gamsaragan en 1924, dont les photographies nous sont parvenues, apparaissent dans ce dossier.
Nous présentons dans ce fichier les portraits sculptés dans la pierre ou dans le bois. Il s’agit, soit d’une taille directe du matériau, soit à partir d’un modèle créé auparavant en argile ou en cire. Ce dossier comporte peu de portraits.
Pour les sculptures en pierre blanche :
- Buste de jeune fille de profil (prise de vue à Alexandrie)
- Buste marbre blanc jeune fille avec un bras autour de la tête
- Tête de chapiteau (prise de vue à Alexandrie)
- Portrait d'une jeune fille à Alexandrie (prise de vue à Alexandrie)
- Buste taille directe pierre 1932 (Photo signée Alban, Paris)
La photo du « buste de jeune fille avec un bras autour de sa tête » a paru dans un journal égyptien en 1930. Ce buste et le buste de femme « en taille directe » sont apparus dans un journal en langue hongroise en 1932.
Tous ces bustes ont été sculptés probablement à Alexandrie à la fin des années 1920 ou au début de 1930. Daria Gamsaragan avait commencé son apprentissage de la sculpture à Alexandrie où elle pouvait toujours disposer de moyens pratiques pour sculpter la pierre à partir d’un moulage qu’elle aura créé en argile par exemple. Ces œuvres ont été peut-être exposées en Egypte. Le buste en taille directe est arrivé à Paris, il a peut-être été sculpté à Alexandrie et ensuite le travail a été continué à Paris. Nous ignorons où se trouvent actuellement tous ces bustes.
Dans une interview pour le journal « Le flambeau d’Egypte », en Janvier 1930, Daria Gamsaragan déclare : « J’ai travaillé [après ma formation auprès de A. Bourdelle] avec Csaki, il m’a enseigné à voir le courant moderne. En un mot, lui et mon mari… m’ont chacun à sa manière libérée des formes académiques. Depuis un an, je travaille seule. J’ai compris la simplification moderne et cependant je voudrais garder l’intériorité de Bourdelle. Ce que je désire c’est d’arriver à combiner les deux. »
Cette déclaration représente le choix que l’artiste fait en réalisant ces bustes en pierre.
Pour les sculptures en bois :
- Portait de La soudanaise en bois d’ébène
- Portrait de La porteuse d'eau en bois d'ébène
- Petite tête en bois sculpté, cheveux tressés
Ces sculptures datent environ de la même époque. La photo de la « La Soudanaise » est parue en 1950 dans un journal égyptien, mais on sait, par une lettre envoyée par le père de Daria à sa fille, en Décembre 1938, qu’une sculpture dite « la soudanaise » a été acquise par le Musée d’art moderne du Caire. Dans deux expositions auxquelles Daria Gamsaragan a participé en 1939, il est fait mention de la « tête de soudanaise » et de « sa mystérieuse sensualité » et elle est présentée comme « l’œuvre la plus attachante de Daria Gamsaragan ». Nous ne savons pas si cette sculpture a été prêtée par le Musée du Caire ou bien s’il existait plusieurs versions de ce remarquable portrait.
Le portrait de « La porteuse d’eau » sculptée dans l’ébène est toujours dans la collection. Une vraie porteuse d’eau a posé pour ce portrait. Il est émouvant de voir la sérénité qui se dégage de ce visage sans artifice les cheveux et les oreilles cachés sous une coiffe discrète. Il existe également dans la collection les versions en plâtre et en bronze de ce portrait. La photo de la version sculptée en bois d’ébène est parue dans la presse.
« La petite tête en bois sculpté » est toujours dans la collection actuelle. On peut penser à une œuvre de débutante.
Daria Gamsaragan et Imre Gyomaï se sont rencontrés lorsqu’elle arrive à Paris pour apprendre à sculpter. Dans ses mémoires (non publiées) « La rivière verte » elle raconte :
« Je ne voulais pas m’avouer à moi-même la place immense que [l’amour] occupait dans mes pensées. Je le désirais et le redoutais à la fois. Je connaissais ses ravages autour de moi, il en avait causé beaucoup : des êtres sensés avaient brusquement perdu la raison et la vue. Je ne voulais pas qu’il entravât mon travail. Il me fallait rester libre pour me consacrer tout entière à l’œuvre que je devais faire. Quelle que fût cet œuvre, elle devait voir le jour… Il y avait beaucoup de défi dans cette attitude, défi contre ceux que la libération encore timide des femmes faisait sourire…
Mes idées triomphalistes fondirent comme sucre dans l’eau le jour où l’amour jeta sur moi sa tunique enchantée. Rien ne compta plus alors qu’un être, Imre Gyomaï. A travers tempêtes, ouragans et naufrages, il ne cessa jamais d’être près de moi par-delà la vie et la mort. J’avais 22 ans, il en avait 29. Il avait traversé toutes les épreuves de ce quart de siècle fou, assoiffé de haine et de meurtre. Sa vie ressemblait à un paysage qui a subi un tremblement de terre : guerre, captivité, révolution rouge et blanche, évasion, persécutions…
Il m’accompagnait à la Grande Chaumière, puis partait faire son article pour « Uysag », un journal de Transylvanie, à la Rotonde, l’ancienne… Nous allions visiter des expositions, des musées, des vieux quartiers. Il m’emmenait avec lui quand il interviewait des hommes politiques… On discutait à tout propos, on se chamaillait, on s’aimait, ah comme on s’aimait. »
Daria et Imre se sont mariés en 1926 à Alexandrie et ont divorcé en 1937.
Ces portraits ont été probablement sculptés dans cet intervalle. Daria Gamsaragan a sculpté deux bustes d’Imre.
Andrée Jabès
Le portrait d’Andrée Jabès (épouse d’Edmond Jabès) par Daria Gamsaragan apparait dans la presse en 1935, dans l’article paru 24 Avril dans La Bourse Egyptienne, pour l’exposition Au Palais Tigrane « La XVème Salon du Caire La Sculpture », il apparait aussi dans la revue Sud magazine Juillet-Aout 1935, dans l’article « le Mouvement artistique à Paris », puis dans l’exposition de la Galerie Bonaparte, à Paris, en Mars 1936 faite conjointement par Daria Gamsaragan et Emil Lahner. Également, paru dans la presse égyptienne à propos de l’exposition à la Galerie MMM au Caire en 1938.
Cette sculpture attire tout de suite le regard des experts qui voient dans ce travail une affirmation du style épuré et plus affirmé de la sculptrice.
Etienne Meriel, critique d’art bien connu, le décrit ainsi (24 Avril 1935 dans « La bourse égyptienne ») : « Comment parler convenablement des bustes de Daria Gamsaragan ? C’est du grand art et tellement au-dessus de tout ce qu’on peut voir communément ici… Le Petit buste de Mme Jabès l’emporte en perfection sur l’œuvre majestueuse [buste de Beghos Pacha] : stylisé à l’extrême, mais sans froideur aucune, laissant vivant le libre jeu des chairs sous l’impérieuse nécessité des directions générales données aux éléments constructifs, atteignant l’expressivité avec une économie de moyens stupéfiante, unissant le solide et l’exquis, plein d’une spiritualité qui touche au cœur ». Même si le style de ce critique d’art peut faire sourire aujourd’hui, le message qu’il livre reste ; c’est la spiritualité de ce portrait qui attire le regard, qui vous touche au cœur. Cette analyse pourra s’appliquer aux autres portraits que l’artiste réalisera par la suite.
La famille Jabès sera toujours présente aux côtés de Daria Gamsaragan.
Boghos Nubar
Boghos Nubar est né au Caire en 1851. Il est le fils de Nubar Pacha (1825-1899), Premier ministre d’Égypte. Il fait ses études en France et en Suisse. Une fois diplômé de l’École Centrale en 1873, il rentre en Égypte où il occupe un poste important dans les Chemins de Fer égyptiens. Boghos Nubar Pacha est surtout connu pour ses actions de bienfaisance partout dans le monde en faveur des arméniens en tant que président de l'Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), qu'il fonde en 1906. Il décède à Paris en 1930 et est enterré au Père Lachaise. Son buste sculpté par Daria Gamsaragan est probablement une commande peu avant son décès, qui a été réalisée en Egypte.
En 1929, La Bourse égyptienne, mentionne le buste dans l’exposition de Daria Gamsaragan et Nersès Bartau, à la Galerie MMM, au Caire. Le buste est exposé ensuite au XVème Salon du Caire en 1935. A cette occasion, une critique signée du critique d’art bien connu Etienne Meriel est publiée dans le Journal La Bourse égyptienne, du 24 Avril 1935, en ces termes : « Le Buste de Boghos Pacha est puissant, mouvementé, exécuté dans la fièvre d’un emportement magnifique. Il est d’une « couleur » presque violente qui fait jouer admirablement, les plans du visage, les saillies, les cavités, les accidents individuels, sans cesser pourtant d’être classique, sans se départir d’une tenue en vérité extraordinaire, d’un style obtenu par une merveilleuse entente du rythme des lignes et des volumes qui le composent, de leur agencement dans une unité constructive rigoureusement calculée ».
Il est également exposé dans la galerie MMM au Caire en mars 1938 et une reproduction partielle du buste est publiée dans un journal égyptien à l’occasion de cette l’exposition. L’œuvre peut probablement se trouver au Caire on ignore dans quelle institution.
Catherine Kahla-Perlot
Catherine Kahla-Perlot était une jeune fille âgée entre 8 et 10 ans lorsque Daria Gamsaragan a fait son portrait. Elle a toujours été très proche de Daria Gamsaragan et elle allait la voir dans son atelier depuis qu’elle était très petite et se laissait impressionner par les sculptures qu’elle y découvrait. Leurs relations étaient affectueuses et sont restées très profondes tout au long de la vie.
Ce portrait, tout en délicatesse, montre ce joli minois aux joues rondes, avec une frange épaisse et un sourire très léger. Il est toujours placé sur son socle d’origine chez son modèle.
Charles Estienne
Charles Estienne (1908-1966) est un critique d’art et écrivain français. Charles Estienne tient la rubrique artistique de l'hebdomadaire « Terres des Hommes ». Après la disparition du journal, il entre à « Combat » et collabore à « Art d’aujourd’hui » et à « L’Observateur ». Charles Estienne fait paraître en 1950 un pamphlet « L'art abstrait est-il un académisme ? » et fait publier aux éditions de Beaune l'ouvrage de Kandinsky « Du Spirituel dans l'art ».
Nous ne connaissons pas de liens particuliers entre Charles Estienne et Daria Gamsaragan, on peut penser qu’il faisait partie du cercle d’intellectuels qui étaient reçus Villa Spontini par Daria Gamsaragan et son compagnon, Georges E. Vallois, directeur du journal « Libération ».
Buste exposé en 1958 dans l’exposition « Bestiaires et Hiéroglyphes », à Paris, Galerie Simone Badinier.
Emmanuel d’Astier de la Vigerie
Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1900-1969) est un écrivain, journaliste, militaire et homme politique français, compagnon de la Libération.
Grand résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il fonde en 1941 le mouvement « Libération-Sud » et le journal « Libération », et devient après la guerre commissaire à l'Intérieur de la France libre. Le réseau qu’il crée en 1941 deviendra, avec « Combat » et « Franc-Tireur », l'un des trois plus importants mouvements de résistance de la zone sud. En 1956, se différenciant des communistes par son neutralisme, Emmanuel d’Astier de la Vigerie condamne l'intervention soviétique en Hongrie. Il condamne également l'expédition franco-britannique de Suez. Il demeure un conseiller prisé par de Gaulle pour les affaires soviétiques à la fin des années 1950 et au début des années 1960.
Son portait par Daria Gamsaragan date de 1949. Il est certain que Emmanuel d’Astier de la Vigerie faisait partie du cercles des proches de Daria Gamsaragan et de Georges E. Vallois, directeur de « Libération », unis par leur combat commun dans la Résistance pendant la guerre.
François de Vaux de Foletier
François de Vaux de Foletier (1893-1988) est archiviste paléographe. Il a été élève de l’Ecole de Chartres et a occupé des fonctions importantes aux Archives de la Seine. À partir de 1956, les recherches de Vaux de Foletier portent sur les tsiganes et leur histoire dont il devient un spécialiste. En 1955, il est l’un des fondateurs de la revue « Études tsiganes ». Il a reçu de nombreux prix de l’Académie Française et des Distinctions dont celle de Commandeur de l’ordre des arts et des Lettres.
Son buste a été réalisé par Daria Gamsaragan en 1953. François de Vaux de Foletier devait faire partie du cercle d’intellectuels et d’érudits qui fréquentait l’atelier de la Villa Spontini à cette époque.
Galinig Gamsaragan
Galinig Gamsaragan, mère de Daria est morte en France au cours de l’été 1939 et elle a été enterrée à Nice au cimetière de Cimiez. Daria et son père sont ensuite rentrés précipitamment en Egypte quand la guerre a commencé.
Dans un recueil de souvenirs qu’elle a intitulé « La rivière verte », non publié, Daria Gamsaragan a écrit à propos de sa mère :
« Quelques mois après sa mort que je n’arrivais pas à accepter, son visage se projeta un jour en moi avec une telle force que je pris une boule de plastiline et la modelai en moins d’une demi-heure, presque inconsciemment. Aucun de ses portraits ne lui ressemble plus que cette petite ébauche. Ce front lisse, sans ride, le regard lumineux de ses yeux gris bleu qui avaient gardé l’innocence de la première vie… »
Le 1er Octobre 1959, Daria Gamsaragan a également écrit dans ses notes manuscrites :
« Aujourd’hui pour la première fois j’ai commencé à travailler, j’ai eu tellement envie de faire maman, elle était si belle vers la fin avec ses doux cheveux épais, elle avait une telle expression de noblesse, de calme … son beau visage semblait avoir coupé les amarres de la vie et naviguer doucement vers la grande paix de la mort. »
Guy Levis Mano
Guy Levis Mano était un ami très proche de Daria Gamsaragan et d’Andrée Chedid. On les voit tous les trois ensemble sur des photos des années 1970.
Guy Levis Mano est connu comme poète et éditeur de livres de poésie sous le sigle GLM. Daria Gamsaragan possédait un grand nombre de ces livres de poésie éditées sur GLM avec des poèmes de poètes très connus. Ces livres se présentent comme des plaquettes de petite taille imprimées sur d’un papier épais.
Jean Follain
Jean Follain (1903-1971) est un poète et écrivain français. Il entreprend des études à la faculté de droit de Caen et poursuit une carrière d’avocat jusqu’en 1951, puis occupe un poste de magistrat jusqu’en 1961.
Son œuvre en tant que poète débute en 1928 dans la revue Les Feuillets de Sagesse. Sa première plaquette illustrée, Cinq poèmes avec cinq gravures à l'eau forte, est imprimée en 1932, en 1933 parait La Main chaude, L’Épicerie d’enfance en 1938. Le Prix Mallarmé en 1939 récompense le jeune poète. Ses recueils de poésie, de prose et de poèmes en prose entre 1942 et 1971 sont publiés chez Gallimard.
La poésie de Jean Follain évoque d’abord une enfance enchantée, qui fait revivre avec une douce nostalgie un monde disparu, le monde de son enfance.
Lorsque Daria Gamsaragan sculpte son buste en 1957 c’est le poète et sa nostalgie qu’elle va illustrer, mais le visage sculpté exprime une certaine amertume et désillusion. Les derniers recueils de poèmes de Jean Follain sont en effet décrits comme plus austères et son œuvre plus sombre. Lorsqu’elle sculpte ce portrait, Daria Gamsaragan décèle sur son visage cette expression d’amertume que vont révéler, quelques années plus tard, les nouveaux poèmes.
Descriptif du buste
Jean Follain 1958
Bronze (fonte à la cire perdue)
Fondeur : CLÉMENTI
H. 26,5 x L. 16,5 cm
Signature, face, à droite : Gamsaragan
Estampille : CLEMENTI / Cire perdue
Caen, Musée des Beaux-Arts. Inv. 77.1.1
Historique
Don de Mme veuve Follain, née Madeleine Denis (fille du peintre Maurice Denis), en 1977, déposé depuis avril 1990 au musée des Beaux-Arts de Saint-Lô.
Expositions
1958 : Daria Gamsaragan, Bestiaires et Hiéroglyphes,
Marie France Chabrerie
Ramon Guthrie
Ramon Guthrie, né à New York (1896-1973) était un poète, romancier, essayiste, critique, peintre et professeur de littérature française et comparée.
Il a eu une enfance très difficile, son père ayant abandonné son foyer quand il était très jeune. Il s'embarque pour la France au cours de la 1ère guerre mondiale, comme volontaire auprès de l'American Field Service et est chauffeur d'ambulance dans les Balkans. Il étudie les sciences politiques à Toulouse avec une pension d'invalidité suite à une blessure de guerre et obtient deux diplômes spéciaux pour étrangers, la licence et le doctorat en droit, en 1921 et 1922, il poursuit aussi ses études littéraires et poétiques, notamment des traductions du provençal. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est engagé par le Bureau des services stratégiques (OSS) en France et à Alger comme agent de liaison avec la Résistance française. En dehors de la guerre, de 1930 à 1963 Guthrie enseigne à plein temps, spécialiste de Proust et revient en France aussi souvent que possible pendant les vacances et les congés sabbatiques, souvent pour peindre plutôt que pour écrire.
Il a publié cinq recueils de poésie et deux romans, traduit trois volumes de non-fiction française, édité deux anthologies standards de la littérature française et publié de nombreuses critiques, essais et poèmes individuels.
Il est clair que la personnalité de ce poète et écrivain américain, si proche de la culture française a eu de quoi séduire Daria Gamsaragan, qui a sculpté son portrait en 1961.
Roger Vailland
Roger Vailland (1907-1965) est un écrivain, grand reporter et scénariste Français.
Son œuvre comprend neuf romans, des essais, des pièces de théâtre, des scénarios pour le cinéma, des journaux de voyages, des poèmes, un journal intime et de nombreux articles de journaux rédigés tout au long de sa vie. Il s'engage dans la Résistance en 1942 aux côtés des gaullistes, puis des communistes.
Il est décrit comme un grand reporter, un communiste qui roule en Jaguar à la fin de sa vie, consommant de la drogue, alcoolique, amateur de cyclisme et de montagne, ascète, ex-surréaliste et libertin. Une personnalité très attachante et très fragile.
Daria Gamsaragan a connu Roger Vailland très jeune. Dans ses mémoires, « La rivière Verte » (non publié) elle relate son souvenir assez précis de la rencontre avec Roger Vailland à la Villa Junot :
« En promenant nos chiens dans la Villa Junot, je tombais souvent sur un jeune homme très mince qui avait une démarche curieuse et légère, effleurant à peine le sol comme s’il était porté par des ondulations du vent. J’étais frappée par son profil d’oiseau, son air à la fois ahuri et avide de tout happer, des yeux d’une mobilité surprenante. Un mélange d’innocence et d’impertinence avec un reste de timidité, peut-être provinciale. Il fréquentait une famille qui habitait un pavillon proche du notre, laquelle famille était composée de la mère encore accorte et de plusieurs de ses filles. Les mauvaises langues attribuaient à ses dames des meurs légères et plaignaient le pauvre jeune homme.
Un soir à la Boule Blanche où nous allions quelquefois avec des amis, Bernard Lecache s’écria « Tiens, voilà Roger Vailland ! ». Je levai la tête : c’était mon jeune homme de la Villa Junot. Notre amitié s’épanouit rapidement et dura jusqu’à la fin de sa vie trop courte. Il revenait alors d’Ethiopie où l’avait envoyé Paris-Soir pour un reportage. Il en avait rapporté de magnifiques peintures populaires qui furent perdues malheureusement pendant la guerre. A 23 ans, il n’était pas connu, mais on disait qu’il avait beaucoup d’avenir. Ne nous rencontrant qu’au cours de nos sorties nocturnes, je ne connaissais que le sympathique garçon au tempérament farfelu, aux réparties anticonformistes. Sous sa faiblesse apparente, il y avait en lui une force cachée, têtue, une originalité comme en ont certains adolescents qui n’acceptent pas le monde tel qu’il est et une insaisissable curiosité de la vie. »
Quand on lit ces lignes on comprend que Daria Gamsaragan avait ce don de capter la personnalité des gens qu’elle côtoyait et qu’elle était en mesure de la restituer dans son travail de sculptrice avec beaucoup de sensibilité et de talent. Elle a été fascinée par la personnalité de Roger Vailland.
Buste exposé en 1958 à la Galerie Simone Badinier, Paris, à l’exposition de Daria Gamsaragan « Bestiaires et Hiéroglyphes ».
Sacha Pitoëff
Sacha Pitoëff (1920-1990) est un comédien et metteur en scène de théâtre franco-suisse. Il est le fils de deux comédiens célèbres d'origine russe qui ont marqué le théâtre français de l'entre les deux guerres. Son père, Georges Pitoëff, acteur et metteur en scène est d'origine arménienne. Sa mère Ludmilla est une comédienne. Sacha a suivi l'enseignement de Louis Jouvet et a été formé très jeune aux grands classiques du théâtre, Tchekhov, Gorki, Ibsen, Pirandello. Sacha Pitoëff a exercé le métier d'acteur avec passion et modestie. Il a également appris les métiers de régisseur et décorateur.
Le visage fin de ce jeune acteur aux pommettes saillantes, aux joues creuses, aux sourcils épais, à la chevelure dense a séduit Daria Gamsaragan. Les statues dont nous disposons indiquent deux sculptures différentes, peut-être faites à de époques différentes. Les images associées à Sacha Pitoëff, dans le portrait en plâtre d’une part (dont la photo noir et blanc parue dans Armenia 1977) et l’ensemble Sacha Pitoëff bronze, modelage et terre cuite (l’image du bronze publiée le 10 Aout 1966 dans « Le jour », Journal de Beyrouth et en 1972 dans le « Club français de la Médaille »). Un buste a été exposé à la Galerie Simone Badinier en 1958, à l’exposition de Daria Gamsaragan « Bestiaires et Hiéroglyphes ». Un modèle en bronze a été exposé en 1964 à l’exposition consacrée à l’histoire du buste autour de Bourdelle.
Toutes les photos publiées dans les journaux indiquent une date de création en 1958.
La famille de Sacha Pitoëff avait des amis communs avec Daria Gamsaragan.
Séverine
Séverine, pseudonyme de Caroline Rémy (1855-1929), est une écrivaine et une journaliste française, libertaire et féministe. Elle est la première femme à diriger un grand quotidien, « Le Cri du peuple », de 1885 à 1888. Elle est la seule femme de la rédaction et signe ses premiers articles « Séverin », avant de féminiser le nom en « Séverine ». Elle continue à écrire, après 1888, de manière indépendante dans de très nombreux journaux, vivant ainsi principalement de sa plume. Elle défend les femmes qui ont recours à l'avortement. Elle s’engage dans la lutte en faveur du droit de vote des femmes. Elle œuvre pour unifier les associations suffragistes en une entente fédérale pour le suffrage des femmes.
Esprit indépendant et antiparlementaire, elle écrit, en 1893 pamphlétaire antisémite, en dénonçant ici « l'esprit juif » ou des « grands Juifs » dans « La Libre Parole » d’Édouard Drumont, ce qui ternit sa réputation.
En 1933, un square est nommé en mémoire de celle-ci à la porte de Bagnolet.
Daria Gamsaragan raconte sa rencontre avec Séverine, qui était alors une dame âgée :
« C’est à travers des troupeaux de biches de la forêt de Compiègne que m’apparaît l’image de Séverine, accompagnée de sa petite fille Denise. Mon amie, si proche que Séverine nous appelait les sœurs siamoises, et moi nous avions traversé cette magnifique forêt à pied pour arriver à Pierrefonds. Dans sa belle maison bourrée de livres et de vieux meubles, régnait une odeur de bois, de résine, d’âtre mal éteint. Lorsqu’elle entra pour nous recevoir, toute vêtue de blanc, une petite pélerine de dentelle sur les épaules, un bonnet de même dentelle sur ses cheveux de neige, je crus voir revivre une femme célèbre de la belle époque, une Réjane, une Sarah Bernard, une Yvette Guilbert. Séverine était une figure superbe de grâce et de force. Son pouvoir de séduction s’exerçait sur son entourage sans aucun effort, aucun artifice de sa part. D’où venait à ses femmes d’autrefois ce port, cette allure qui faisaient d’elles des grandes dames aussi parfaites. Sa conversation pétillante d’esprit était un véritable documentaire sur la troisième république. Vallès était vivant et toujours à ses côtés. Un point est resté obscur chez moi dans la vie de cette admirable créature ; son amitié pour l’affreux Drumont, ne fût-elle que passagère ».
Le buste que Daria Gamsaragan a réalisé représente Séverine jeune. Ce buste qui apparait sur des photos de l’exposition à la Galerie Bonaparte en 1936, ressemble fort à ces photos que l’on peut voir actuellement sur la toile, réalisées par l’atelier Nadar vers 1890. Sur cette sculpture, Séverine porte une robe à corsage ajusté et arrondi devant, cintré avec empiècement s'élargissant vers le haut en plastron, à col chinois, avec manches gigot, fidèle à la mode de l’époque. La représentation est bien fidèle à l’époque de Séverine jeune, mais n’est pas conforme au style développé par Daria Gamsaragan autour de 1930. Dans la même exposition, Daria Gamsaragan présente séparément un portrait de Séverine plus âgée, comme on peut le constater en consultant d’autres images d’elle que l’on trouve sur la toile de nos jours.
On trouve de nombreux commentaires sur le buste et le portrait de Séverine dans les critiques citées dans le dossier des Expositions de Daria Gamsaragan.
Sirvart K.
Sirvart K. est une cousine de Daria Gamsaragan. Elle apparait sur les photos de vacances de la famille Gamsaragan dans l’enfance de Daria. Elle est plus âgée que Daria, elle semble avoir un âge proche du frère ainé de Daria (16 ans de plus qu’elle). Elle fait partie aussi des voyages de Daria, plus tard comme jeune mariée, avec Imre et les parents de Daria. On dit d’elle qu’elle « est la femme aux yeux très clairs ». Elle était célibataire. C’est une personne de confiance pour Daria. Lorsque son père décède, en 1941, Daria, qui se trouve en France, à Toulon à ce moment-là, lui accorde l’autorisation de la représenter pour agir en son nom, recueillir sa part de la succession et suivre les nombreuses démarches et les arbitrages qui vont se succéder.
Le portrait « S. K. » en bronze est exposé en 1950 à la galerie La Boétie à Paris. On voit son visage encadré par les cheveux séparés par une raie au milieu. Ce visage montre une personnalité discrète, secrète même, à l’expression calme et au port de tête gracieux et élégant. Ce buste est resté auprès de Daria Gamsaragan toute sa vie.