Les statues des années 1950
Dans la période des années 1950, jusqu’en 1958, les sculptures de Daria Gamsaragan ont des thématiques très sombres et révèlent une grande souffrance intérieure. A cette période Daria Gamsaragan a emménagé à Paris, Villa Spontini, avec son compagnon, Georges E. Vallois, directeur de Libération. Leur relation ne va pas bien. Les disputes sont fréquentes. Elle lui reproche ses infidélités. L’argent vient à manquer et une partie de la maison est sous-louée. Mais également, la politique vient se mêler dans leur relation personnelle. Daria Gamsaragan s’était beaucoup impliquée dans la Résistance. Lorsque David Rousset en 1949, dénonce le monde concentrationnaire en URSS, (fait historique connu), Georges E. Vallois ne l’écoute pas. Daria, sans avoir un engagement politique, éprouve un grand sentiment de révolte pour ne pas avoir réagi elle-même, car elle n’était pas d’accord avec les « options » de Georges et elle estime avoir été « lâche » et s’être contentée de « faux semblants ».
Dans ses carnets, elle écrit : « Vu trop de gens, le bruit des paroles m’a rendu sourde, je me suis dissoute au milieu de toutes ces rencontres, de ces contacts. Vivre de longues périodes avec ce désespoir au fond de soi » est son cri de détresse. « Terreur de ne plus pouvoir travailler, d’avoir perdu le fil. Le travail c’est ma drogue ». L’artiste se ressaisit. Elle se reconstruit et se libère grâce l’écriture et à la sculpture. Elle publie un roman inspiré de sa propre expérience, au titre étrange « Voyage avec une ombre » chez Calmann-Lévy Editeur, 1957 sous le pseudonyme d’Anne Sarag. Ce livre parle de solitude et d’incompréhension dans un couple.
L’exposition intitulée « Bestiaires et Hiéroglyphes » en 1958 à Paris évoque, aux yeux des critiques d’art, l‘expression des origines égyptiennes de l’artiste. En examinant les noms que Daria Gamsaragan a donné à ses sculptures, on voit que sa détresse trouve ici un écho dans la symbolique religieuse et dans les mythologies et les croyances qui remontent dans la nuit des temps.
Le mal et le bien, côte à côte : Le Christ sur la Croix avec son visage tendu par la douleur, L’angle suppliant, L’Orante, mais aussi Le démon.
La harpie, monstre fabuleux, Le vampire, ce mort-vivant qui se nourrit du sang des vivants, Le lémure, spectre d'un individu décédé, un fantôme un revenant nommé Le spectre, La chimère, oiseau avec un corps d’animal. Toutes ces créatures trouvent une incarnation qui est loin des images déjà connues. Peut-être l’art égyptien est-il venu s’imbriquer dans l’imaginaire du monde occidental ?
Le monde qui entoure l‘artiste est démasqué : Le rhéteur, Le dictateur, sont vus sous leur véritable visage.
Le prisonnier est là aussi avec sa solitude. Le cri, La forêt des crucifiés ou Les hommes suppliciés vous émeuvent jusqu’au fond du cœur. Ils n’ont plus de visage, ils incarnent la douleur.
Le couple, ce sont deux êtres, deux silhouettes fragiles, qui tendent les bras l’un vers l’autre sans se toucher.
Il reste la poésie et le rêve incarnés par L’astronaute.
Cette exposition a eu des critiques nombreuses, très positives, qui montrent que cette vision très sombre du monde de l’époque était aussi perçue par tous, à ce moment-là. La guerre froide, la menace nucléaire, la difficile reconstruction de la société après la guerre, les conflits au canal de Suez, au Moyen Orient, le maccarthysme aux Etats-Unis, le soulèvement de Budapest et sa répression sanglante… Tout est là, le mode vit toujours dans l’angoisse du lendemain. Plus que la guerre, l’après-guerre est encore plus difficile à vivre, surtout pour ceux qui espéraient un mode plus égalitaire et plus libre.
On redécouvre aujourd’hui l’actualité de cette vision.
Voici « L’ange suppliant », après « L’ange des ténèbres » et « L’ange des lumières » exposées au Salon des Tuileries en 1940, dont il ne nous reste pas de traces.
Par définition l’Orante est un personnage féminin représenté en prière, les bras étendus. Dans la statue de Daria Gamsaragan la femme représentée est d'une maigreur insupportable, elle semble supplier le visage tourné vers le ciel. Ce n'est pas la posture habituelle de l'Orante dans la l'art chrétien, avec les bras ouverts, mais elle évoque bien une prière, une supplique désespérée, qui rappelle aussi un geste de reddition devant une menace violente et un appel à l’aide du ciel.
Corps de femme avec des mains en pinces de crabe. Position de marche, bras en avant, prête à encercler sa proie.
Dans la mythologie, une harpie est un monstre fabuleux à tête de femme, à corps d'oiseau et à griffes acérées, au figuré une personne avide et rapace. Daria Gamsaragan a transposé l’image mythologique pour ne retenir que la nature féminine du monstre et le doter de pinces, en non de griffes acérées.
A l’exposition Galerie Simone Badinier en 1958, le catalogue mentionne parmi les statues « Le Prisonnier ». Sur cette photo, prise chez Daria Gamsaragan, en 1970, on reconnait sur cette étagère les autres personnages, identifiés par leurs photos et légendes, et on peut penser que le premier à gauche, maigre, le dos courbé, qui marche en regardant par terre est « le Prisonnier ». Nous ne possédons pas d’autres images du « Prisonnier ». Toutes les statues sont ici des moulages en plâtre.
La rhétorique est l'art de « l'action du discours sur les esprits ». Le mot provient du latin rhetorica, emprunté au grec ancien. La rhétorique est le contraire de la pensée juste. Un rhéteur est un orateur qui « sacrifie à l'art du discours la vérité ou la sincérité » ou « qui s'exprime de manière emphatique ». L’expression corporelle donnée à ce personnage par Daria Gamsaragan illustre bien la définition du mot « rhéteur » sans qu’on ait besoin de connaitre son discours.
Cette photo et un fragment de la tête du Spectre sont les seuls éléments que nous possédons. La tête semble être celle d’une vielle femme aux joues creuses, aux yeux enfoncés, aux paupières fermées, affichant un sourire glaçant. Le corps est un squelette dont les bras repliés et les paumes de mains ouvertes semblent apporter une offrande, mais les mains sont vides. Ce personnage inspire la peur et suggère la mystification, l’hypocrisie. C’est un cauchemar que ce personnage incarne.
Vampire, grand personnage à gueule ouverte de reptile, yeux globuleux, pieds palmés, attitude menaçante. Bronze vert, H=73cm hors socle.
Le vampire est un revenant qui fait partie des grandes créatures légendaires issues des mythologies où se combinent l'inquiétude de l'au-delà et le mystère du sang. Suivant différents folklores et selon la superstition la plus courante, ce mort-vivant se nourrit du sang des vivants afin d’en tirer sa force vitale.
La chimère est un monstre imaginaire à tête de lion et queue de dragon qui crache des flammes., d’après la définition habituelle, ou encore un animal fantastique peint ou sculpté, notamment à usage de gargouille et finalement, une chose monstrueuse qui inspire l'épouvante. Cette dernière définition s’applique à la sculpture de Daria Gamsaragan.
Du « Couple », il reste seulement le corps de l’homme qui s’avance vers la femme. La femme attend immobile, avance ses bras. Les deux personnages tendent les bras l’un vers l’autre, sans arriver à se toucher.
Araignée géante (lémure), bronze noir 90x49 cm. L’araignée semble avancer en rampant et attraper ses proies à terre.
Dans l’antiquité romaine, le lémure est le spectre d'un mort qui revenait tourmenter les vivants, c’est un fantôme. La représentation que Daria Gamsaragan donne à ce fantôme n’est pas conforme à la légende, mais son interprétation s’inspire de l’emprise que le fantôme exerce sur les êtres qu’il hante.
Surface rugueuse, peau de reptile, dressé sur ses deux jambes pour s’emparer de sa proie. La tête fait penser à une mante religieuse, le corps à un insecte géant.
Cette autre représentation du lémure suggère elle aussi l’emprise de cette créature exerce sur les vivants et la peur qu’elle inspire.
L’astronaute est est nom familier à nos contemporains depuis la conquête de l’espace par un équipage américain au début des années 1960. Au préalable, les soviétiques avaient envoyé en 1961, le premier homme dans l’espace qu’ils ont appelé « cosmonaute ». En 1956, quand Daria Gamsaragan baptise sa sculpture « l’astronaute » tous ces évènements n’avaient pas encore en lieu, ce nom n’était pas familier. Ce « Voyageur de l'espace cosmique » était évoqué en 1944 par Raymond Queneau, romancier et poète, dans le roman « Loin de Rueil » dans le paragraphe énumérant les mystères mantiques « ... une vieille gitane l'a initié à tous les mystères mantiques, médecin (psychanalyste), médecin (acupuncteur), médecin (ostéopathe), médecin (chiropracteur), médecin (chirurgien-dentiste), explorateur (astronaute, car sinon où ça ? et de quoi ?) ». La première mention du mot « astronaute » paraît dans Le Larousse du 20ème siècle, en 1928. Daria Gamsaragan a délibérément choisi ce titre qui évoquait bien des mystères pour ses concitoyens. Cette statue, d’un homme qui ne touche pas terre, qui a la tête dans les étoiles, qui semble s’élancer vers le ciel incarnait aux yeux de l’artiste ce voyageur de l’espace cosmique. Plus que sur la base de connaissances astrophysiques, c’est le mystère que ce nom renferme qui a inspiré Daria Gamsaragan.
Cet homme les bras tendus, regarde vers le ciel, ses mains sont ouvertes, ses doigts écartés, tout son corps est tendu vers le ciel, il semble avancer d’un pas, mais toute son attitude exprime son désespoir et son sentiment d’impuissance.
Une série de petites statues en bronze illustre les souffrances des hommes qui crient et se rendent à un ennemi invisible. Plusieurs postures sont incarnées.
Socle en bois à deux niveaux, mains énormes, corps filiforme, tête penchée à droite, branches d’arbre parallèles aux bras levés, H=30 cm hors socle.
Le corps de l’homme se détache du poteau, les mains sont fixées au poteau, la tête penche en avant. H=29 cm hors socle. Socle en bois à deux niveaux. Bronze marron foncé.
Bronze marron foncé, socle en bois à deux niveaux, mains énormes, bras assez courts, corps long filiforme H=30cm, un homme qui n’a plus de visage.